Interview exclusive de Hama Amadou, chef de file de l’opposition nigérienne sur Vox Africa TV

Le vendredi dernier, Hama Amadou était invité de Vox Africa TV, rompant ainsi son silence d’il y a presque deux ans. Interview exclusive du chef de file de l’opposition.

 

Question : (…) Vous êtes parti de Niamey à Paris malheureusement sous une évacuation sanitaire. Comment allez-vous aujourd’hui ?

Hama Amadou : Je remercie le bon Dieu parce que je me porte très bien. Je sais que certains prétendent que c’est une maladie diplomatique que j’essaie d’entretenir.

Question : vous anticipez mes questions…parce que vous êtes en exil en fait…

Hama Amadou : Je suis en exil parce que les conditions politiques qui ont été spécialement organisées pour mon élimination politique sont toujours en vigueur. Je rappelle que c’est de la prison que j’ai pu suivre la campagne électorale présidentielle à laquelle j’étais candidat.

Question : Est-ce que vous n’êtes pas un naïf ou alors faut-il alors s’inquiéter de vos capacités politiques…

Hama Amadou : A l’intérêt qu’ils ont de garder le pouvoir quels que soient les moyens  il est évident si je continue à me présenter contre eux je serais considéré comme un naïf. Que faire autrement ? Si je pars du principe puisqu’ils ne respectent plus les règles des élections démocratiques je vais me retirer mais pensez qu’en Afrique il n’y aurait plus d’opposant parce que personne n’oserait se présenter contre qui que ce soit.

Question : Oui mais à force d’être opposant éternel, opposant professionnel quelque part on s’en lasse pas ?

Hama Amadou : Mon adversaire actuel avait fait une vingtaine d’années d’opposition politique, je n’ai pas eu d’animosité politique ou de rancœur contre lui. C’est sa façon de faire de la politique dans laquelle il n’y a ni humanité, ni respect des principes démocratiques c’est son personnage je n’y peux rien. Mais en ce qui me concerne cela ne changera pas mon caractère ni ma manière d’envisager de faire la politique.

Question : je sais que vous n’aimerez pas regarder dans le rétroviseur, vous aimerez toujours regarder vers l’avenir mais quelque part il faut revoir le parcours de l’homme. Du MNSD vous êtes arrivé au pouvoir à la cohabitation.  Est-ce que vous pouvez nous raconter cela ?

Hama Amadou : à l’époque où j’étais nommé premier ministre de cohabitation je n’étais pas le président du MNSD, le président du parti c’était Tandja Mamadou, l’ancien président de la République. (…) Nous avons eu des élections législatives anticipées provoquées par l’ancien président de la République de l’époque (NDLR : Mahamane Ousmane). Et dans le cadre d’une coalition entre le MNSD et les partis alliés dont le PNDS qui est au pouvoir nous avons remporté la victoire.

Question : c’est important de dire que actuellement les hommes au pouvoir que vous combattez aujourd’hui ce sont vos anciens alliés….

Hama Amadou : Absolument. Et nous avons gagné les élections et à l’unanimité les responsables de notre alliance ont décidé que je sois leur porte-parole dans le cadre du gouvernement qui devait se former.

Question : ce n’est pas un choix au hasard ?

Hama Amadou : C’était leur choix et je peux vous dire qu’ils ne m’avaient pas consulté avant de me proposer puisque quand ils l’ont fait j’ai refusé d’accepter tant la situation était mauvaise. Le pays était en lambeaux.

Question : oui mais vous me donnez l’occasion d’un sobriquet qu’on vous attribue souvent c’est le pompier de service. On vous nomme toujours premier ministre quand tout va mal pour assainir et une fois que la situation est décantée on vous dégage…

Hama Amadou : C’est à peu près cela. En 1995 nous étions parfaitement dans cette logique. La situation n’était pas très bonne et on choisit de me proposer, de me sacrifier en quelque sorte. Au début j’ai refusé mais à la fin sous des pressions multiples j’ai dû céder. J’ai été nommé premier ministre de cohabitation ça a duré un an…

Question : parce que vous vous faites renverser par un coup d’Etat…

Hama Amadou : Oui par le général Ibrahim Baré Mainassara qui était chef d’état-major des forces armées nationales de l’époque…

Question : qui était avec vous à l’époque…

Hama Amadou : c’était mon parti qu’il l’avait proposé pour qu’on le nomme.

Question : Mais il était avec vous ?

Hama Amadou : Disons qu’il l’était … puisque les militaires en principe n’ont pas de parti politique. Ils sont sous une obligation de réserve stricte.  Donc on a préféré de le choisir parce que nous avons pensé quand même qu’il allait faire preuve de neutralité. Malheureusement à partir d’un moment la cohabitation en Afrique n’était pas facile, des difficultés qui avaient été d’ailleurs surmontées. Mais il avait intervenu, il a décidé de nous renverser et il a fait son coup d’Etat, le président de la République de l’époque, le président de l’Assemblée nationale et le premier ministre nous nous sommes tous retrouvés en prison.

Question : Vous avez régulièrement visité la prison…

Hama Amadou : en Afrique quand vous faites la politique tôt ou tard vous serez un hôte de la prison. Ça aide quand même à gagner un peu plus d’humilité dans l’exercice du pouvoir parce que aujourd’hui vous êtes sous les feux de la rampe demain vous êtes dans une geôle obscure. Si vous avez le sens de l’analyse pertinent vous comprendrez que le pouvoir est éphémère et il faut l’exercicer toujours avec plus d’humilité et d’humanisme.

Question : en tout cas la prison vous réussit bien puisqu’en 99 au sortir vous avez retrouvé votre poste de premier ministre cette fois avec toujours celui qui était votre leader de l’époque le président Tandja…

Hama Amadou : Tout à fait parce que avec le président Tandja nous avons fait la politique ensemble pendant près de 20 ans et nous étions quasiment inséparables.

Question : ça a mal fini parce qu’il vous a envoyé en prison…

Hama Amadou : oui il est vrai qu’en 2008 cela était encore mon sort. Cela s’inscrivait dans une logique qu’il faut comprendre, c’est-à-dire le président Tandja avait considéré que deux mandats constitutionnels tels que prévus ne lui suffisaient pas il lui fallait une prolongation hors constitution. Et il était bien conscient que cette approche je ne la partagerais pas. Alors la solution c’était de m’envoyer en repos.

Question : Mais pourquoi vous, pourquoi vous spécialement ?

Hama Amadou : Parce que j’étais le président du parti auquel il appartenait et le candidat potentiel pour les élections de la fin de son mandat.

Question : Alors on va arrêter là avec le passé, c’était quelque part pour montrer un peu votre dimension politique. Vous avez été plusieurs fois au pouvoir et vous avez connu les geôles et vous venez d’expliquer que c’est pour vous une école d’humilité. Il y a une question que les téléspectateurs nous ont adressée et qui était extrêmement importante. C’est la question d’Areva parce que votre pays le Niger qui a des ressources naturelles immenses qui  font vivre de grosses sociétés françaises comment se fait-il que le peuple, le pays n’en profite pas ?

Hama Amadou : Cela dépend à mon avis des types de conventions établies. Il faut dire que ce sont des conventions de types léonins du fait qu’on cède des gros privilèges au plus fort et enfin de compte on se trouve bluffer par l’autre. Ce qui fait qu’en réalité le Niger bien qu’étant le 3ème producteur mondial d’uranium n’a de loin jamais profité de cette manne qui existe dans son sous-sol. Et on ne peut pas dire que les ressources tirées de l’uranium peuvent aider le Niger à assurer son développement donc avoir une croissance inclusive dont la population bénéficie et encore moins avoir les moyens d’assurer des investissements dans des secteurs fondamentaux dont le Niger a besoin pour construire son économie.

Question : Comment ça se passe puisque vous connaissez le système de l’intérieur ?

Hama Amadou : j’ai tenté de modifier cette donne puisque quand j’ai compris que la convention qui régissait les relations entre Areva et le Niger arrivait à terme, en 2016 j’ai introduit une loi au niveau de l’Assemblée qui changeait les rapports de force à travers la loi nigérienne afin qu’il y ait un contrat gagnant-gagnant plus ou moins obligé qui permettait au Niger de tirer profit davantage de l’exploitation de l’uranium sans pénaliser outre mesure le partenaire qui était Areva ou quel que soit le partenaire parce que c’était dans un cadre général qui ne visait pas spécifiquement Areva, les chinois ou qui que ce soit. Mais c’est un principe, l’Etat du Niger doit tirer profit de l’uranium ou des ressources naturelles qui existent dans son sous-sol. Malheureusement le gouvernement  actuel n’a pas pu mettre en œuvre les dispositions de cette loi.

Question : c’est ce qui surprend parce qu’on parle de l’impuissance du gouvernement parce que l’un des pays voisins (le Tchad) a décidé de se démarquer de l’ingérence en se séparant du contingent français. Cela veut dire qu’un chef d’Etat peut prendre une décision sans craindre de perdre son poste…

Hama Amadou : Je pense que dans le monde actuel le principe de la souveraineté des Etats est plus ou moins reconnu. Et je pense que la France particulièrement reconnait et met toujours en avant cet argument de la souveraineté des Etats comme par le passé pour ne plus, comme par le passé, s’immiscer dans la gestion politique et économique des pays. Mais certains dirigeants pensent qu’il ne faut rien faire qui puisse embarrasser le partenaire historique. Je crois que c’est une erreur aussi bien pour des pays comme le nôtre que la France, il est essentiel qu’il y ait de nouveaux types de rapports qui aident à parvenir à une sorte de Co-développement par lequel la France pourrait avoir des partenaires solvables qui permettraient donc à la France d’avoir une balance commerciale beaucoup plus améliorée avec des capacités d’exportation de ces pays qui sont devenus solvables. Aujourd’hui telle n’est pas la situation. Et ces pays sont obligés de s’endetter pour faire de commandes donc de plus en plus leur capacité à recevoir des exportations diminuent au fur et à  mesure leurs ressources se trouvent insuffisantes (…)

Question : Alors vous me faites une belle transition. Maintenant que vous êtes en retrait  vous avez un regard un peu distant, un peu plus réfléchit. Quelle est votre analyse de la situation politico-économique de votre pays ?

Hama Amadou : Je pense que ce n’est pas seulement une observation personnelle. Je constate simplement que le pays se porte très mal. Ce ne sont pas les propos de l’opposant, ce sont les propos du peuple nigérien qui vit des moments très difficiles sur le plan politique comme sur le plan économique. Sur le plan politique, il y a une régression des valeurs de la démocratie dans notre pays, une sorte de mise sous coupe réglée de toutes les institutions de la République qui sont désormais sous la tutelle directe d’une seule personne. Toutes les institutions sont devenues en quelque sorte des excroissances du pouvoir exécutif. Ou vous faites ce que l’exécutif veut ou  on vous exécute que ça soit la justice, l’Assemblée nationale ou les autres institutions fondamentales de la République. Ensuite les libertés individuelles et publiques sont régulièrement piétinées. La loi ne sert que dans la mesure où elle permet au pouvoir en place de sanctionner, de punir, de se débarrasser de ceux qui le gênent. Mais la loi elle devrait être au service de la vérité. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui donc sur ce plan également il y a un gros malaise. Sur le plan économique je suis désolé la pauvreté s’est aggravée ces dernières années au Niger. Evidemment, j’entends parler, on parle de taux de croissance à un certain pourcentage, à un certain moment les autorités se tapaient la poitrine pour dire que ce taux c’est un taux de croissance à deux chiffres. Mais les institutions donnent d’autres chiffres. Depuis 2012 on est dans une sorte de déclin si bien qu’en 2016 le taux de croissance réel par habitant était de 0, 1%, le taux de croissance en 2017 se situe autour de 1,2%. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui les nigériens vivent avec un PIB de 420 $ par habitant, à peine 1 dollar pour vivre  dans un contexte où la situation est très difficile. Donc le pays s’est appauvri, les nigériens se sont très appauvris mais vous avez une certaine caste politico-commerciale qui voit sa richesse croitre.

Question : vous parlez de malaise. Vous-même vous pouvez constituer un malaise notamment avec cette affaire des bébés, est-ce que pouvez-vous nous éclairer sur cette affaire ?

Hama Amadou : Cette affaire des bébés c’est un moyen qui a été trouvé pour essayer de m’éliminer de la scène politique. Normalement un homme politique de mon envergure…

Question : on peut dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu…

Hama Amadou : laissez-moi terminer d’abord. Mieux vaut être patient que d’être en avance sur ma pensée. Comme j’ai dit tantôt c’est le moyen qui a été trouvé par le pouvoir exécutif pour me liquider politiquement. Sinon comment pouvez-vous comprendre qu’on parle de trafic d’enfants et qu’on a jamais présenté le principal trafiquant c’est-à-dire celui qui est censé vendre les enfants ? Comment condamner quelqu’un dans un tribunal alors que celui qui est censé faire le trafic n’a jamais été cité ? Son nom a été cité mais il n’y a jamais eu de comparution ni de coopération avec le pays où ce trafic est censé avoir lieu. Il n’y aucune déposition, il n’y a aucune preuve qui puisse être exhibée que ma femme aurait acheté des enfants. Par contre désormais j’ai entre les mains les preuves que tout cela était un montage. Ils ont dit que c’est en coopération avec Interpol Nigéria qu’ils ont fait l’enquête. J’ai une correspondance d’Interpol Nigéria qui dit très clairement qu’ils n’ont jamais participé à une enquête avec le Niger au cours de laquelle mon nom ou celui de mon épouse a été prononcé. Ensuite ils ont dit mon nom a été cité dans un rapport présenté par NAPTIC c’est-à-dire l’agence qui s’occupe de la lutte contre le trafic des personnes au Nigéria. Au Nigéria également la clinique dans laquelle ma femme a fait son accouchement a produit son rapport obstétrique pour décrire les conditions dans lesquelles ça a eu lieu. Le médecin qui a examiné ma femme lorsqu’elle avait 6 mois de grossesse à Dakar au Sénégal vient de me fournir un certificat et prêt à témoigner sur n’importe quel livre saint, qu’il l’a examiné et qu’elle était en grossesse avancée. Comment dans ces conditions une femme en grossesse qui a accouché et on parle de supposition d’enfants. Quelle est la preuve qui a été apportée pour démontrer qu’il y a eu supposition d’enfants. On n’a jamais présenté les parents qui réclament les enfants donc c’est sur la base de quelle preuve ? L’accusation au départ, elle-même repose sur quelle preuve ? Vous voyez bien que c’est un montage grossier. Quand vous avez le pouvoir de commander à la justice, de convoquer la justice au Palais pour lui imposer votre décision et qu’elle l’applique sans état d’âme, il est évident vous aurez toujours raison dans le pays.

Question : Si on suit votre logique aujourd’hui votre adversaire après son dernier mandat ne se présentera plus aux élections, pourquoi alors maintenir les accusations contre vous  puisque vous ne serez plus son adversaire ?

Hama Amadou : Son objectif c’est qu’après tout le mal qu’il croit m’avoir fait, il ne voudrait pas que ce soit moi qui lui succède parce qu’il pense puisque dans sa tête (lui à ma place il se serait vengé) il est convaincu que je vais me venger. Moi je ne vais pas stigmatiser un comportement qui manque d’humanisme, qui manque de vérité, jamais je ne ferai une chose comme ça. Nous sommes différents, fondamentalement différents. Moi je ne cherche pas la gouvernance du pays pour me venger.

Question : nous avons suivi une élection rocambolesque où vous étiez en prison. Est-ce qu’il y a eu bourrage des urnes ou vous avez acheté des voix en prison ?

Hama Amadou : j’étais en prison et il m’était interdit d’avoir des contacts avec mes camarades politiques. Et pour mieux faire tous mes camardes régionaux du parti qui devaient servir de relais et animer la campagne au niveau de leur région respective ont été quelques jours avant la campagne électorale accusés de tentative de coup d’Etat et jeter massivement en prison. Donc mon parti était décapité à la veille des élections dans une affaire de faux coup d’Etat. Qui va alors acheter des électeurs pour nous ? Il y a eu plutôt  désaveu de ce candidat solitaire. Pour moi à l’époque c’est un candidat solitaire puisque lorsque vous refusez à votre adversaire d’aller battre campagne sur les mêmes pieds d’égalité que vous, je crois que vous manquez de courage.

(Lire la suite sur Vox Africa TV).

Propos retranscrits par Elh. M. Souleymane

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