Agadez : Une nouvelle étape dans l’errance des réfugiés soudanais

Des Soudanais du Darfour à Agadez

Consacrer sa vie à fuir. C’est le destin des 1200 réfugiés soudanais qui sont actuellement à Agadez. Ils ont connu l’horreur de la guerre au Darfour, la misère dans les camps de réfugiés, et enfin l’enfer de l’esclavage et de la détention en Libye. Aujourd’hui, ces hommes, femmes et enfants ne cherchent que la sécurité et une possibilité d’avenir. Devant cet afflux, les organisations humanitaires sont dépassées. Aïr Info est parti à leur rencontre. Reportage

 

 

Agadez, quartier Nassarawa. Dans ces ruelles de terre battue, les prostitués principalement originaires du Nigeria offrent leurs services, accroupies devant de petites maisons en banco. Depuis la fin d’année 2017, elles ont de nouveaux voisins : des hommes, exclusivement, originaires du Darfour. À côté des bordels, ils sont postés devant une porte en fer peinte en jaune défraichi. Après le portique, on arrive dans l’un des plus grands ghettos de la ville. 300 réfugiés soudanais habitent ici. Ils ne possèdent que des couvertures, un petit sac contenant quelques vêtements et parfois, un téléphone. Étrangement, l’ambiance dans cette maison est très calme. Certains font la lessive, d’autres jouent aux cartes, installés sur des nattes sous un grand arbre. D’autres encore restent à l’intérieur, simplement assis à attendre que le temps passe.

S’ils manquent de tout, au moins ici, ils sont en sécurité. Le parcours de ces hommes est pour le moins terrifiant. Yahia Dawood a 28 ans. Il avait treize ans lorsque la rébellion a éclaté au Darfour. « Nous étions à la maison. Des gens sont arrivés avec des chevaux et des chameaux. Ils portaient des armes. Ils ont attaqué, brulé le village et exécuté beaucoup de gens. Vingt-et-une personnes ont été tuées sous mes yeux par les milices janjawids. Mon grand-père, c’était un vieil homme. Il ne savait même plus parler. Il a été brulé à l’intérieur de sa maison », se souvient avec amertume le jeune homme, assis sur une natte bleue dans un coin de la cour.

Lorsque la guerre civile s’est déclenchée au Darfour en 2003, le président Omar el-Béchir aurait donné carte blanche aux milices janjawids pour reconquérir les zones tenues par les rebelles. Rapidement, le conflit s’est transformé en massacre. Entre 2003 et 2006, la guerre civile au Darfour a fait 300 000 morts et 2,7 millions de déplacés, selon l’ONU.

Yahia Dawood fait partie de ce dernier groupe. Après la destruction de son village, il a fui avec sa famille vers un camp de déplacés. Dans les premiers temps, les organisations internationales n’étaient pas encore présentes. Or, des milliers de personnes arrivaient blessées, affamées et terrifiées. Plus tard, la situation s’est stabilisée, mais des policiers, proches du pouvoir, ont été engagés pour faire régner l’ordre. « Pendant la nuit, ils nous tiraient dessus. Même dans les camps de réfugiés, ils ont tué beaucoup de monde », explique Yahia Dawood.

« Vous n’êtes que des esclaves…»

Le jeune Soudanais a passé dix ans de sa vie dans ce camp. À l’âge de 24 ans, il a décidé de partir pour la Libye. Il espérait y trouver un travail pour aider sa famille à survivre. Mais sitôt arrivé, Yahia Dawood a été conduit en prison et torturé. « Les Libyens qui m’ont arrêté m’ont demandé de leur payer 2000 dinars (près de 800 000 FCFA). Mais je n’avais rien dans mes poches et la situation de ma famille est trop précaire pour qu’ils puissent payer pour moi. Ils n’ont rien », explique-t-il.

Après un mois en prison, le jeune homme a été vendu à un fermier. Il a passé un trimestre à s’occuper du bétail, sans être rémunéré.

La vie en Libye est particulièrement difficile pour les réfugiés soudanais. Tout d’abord parce qu’ils sont associés aux mercenaires qu’avait engagés Kadhafi avant sa chute. Ensuite, pour des questions raciales, à cause de la couleur de leur peau. « Après la ferme, j’ai travaillé en tant que transporteur », raconte Yahia Dawood. « Mais souvent les Libyens ne nous payaient pas. Ils nous frappaient et nous chassaient. Ils nous disaient : vous n’êtes que des esclaves, vous devez travailler gratuitement. Nous ne devons rien vous donner », poursuit le jeune homme.

Dans le ghetto de Nassarawa, les hommes se précipitent pour témoigner de l’esclavage et de la torture. « En Libye, nous sommes traités comme des animaux. Nous sommes vendus au plus offrant », s’exclame Abdalah Ramadan, un autre Soudanais.

Dans le chaos libyen, une rumeur a commencé à circuler : « Au Niger, des organisations internationales assureraient la sécurité des réfugiés ». C’est en suivant ce bruit que les Soudanais sont arrivés à Agadez, la première grande ville au nord Niger lorsque l’on quitte la Libye. Pour nombre d’entre eux, c’est un soulagement. « Quand je suis arrivé à Agadez, je me suis dit qu’ici j’étais en sécurité. Dans les premiers temps, je me suis relaxé. Parce que, réellement, je me suis beaucoup tourmenté en Libye », confie Yahia Dawood.

Les organisations humanitaires sont dépassées

Les réfugiés arrivent trop vite et en trop grand nombre. Dans le ghetto de Nassarawa, nombreux se sentent laissés pour compte. Ils partent chaque jour quémander de la nourriture ou un hébergement aux organisations internationales. La plupart du temps, leur demande reste sans réponse. Les locataires n’ont plus de quoi payer le loyer ni de quoi se nourrir. Les latrines sont pleines. Ils en ont construit une autre à l’arrière d’un bâtiment. C’est là, derrière un four hors usage, parmi les déchets, les vieux bidons et les vêtements déchirés que se lavent les 300 habitants de cette maison.

Selon UNHCR, 60 % des réfugiés soudanais qui arrivent à Agadez ont transité d’abord par la Libye…

Le bureau de l’UNHCR n’est installé à Agadez que depuis le mois de mai 2017. Or, à ce jour, l’organisation internationale a déjà enregistré 750 demandes d’asile. Selon ses chiffres, 450 Soudanais attendent encore d’être enregistrés. « Pour le moment, on ne peut que leur donner le minimum en attendant que la situation soit clarifiée » explique Davies Kamau, chef de bureau UNHCR Agadez.

Le Niger n’a pas encore décidé si les demandeurs d’asile soudanais bénéficieront du statut de réfugié. Si ce n’est pas le cas, il se pourrait qu’ils soient reconduits au Tchad ou au Cameroun, où ils sont déjà reconnus comme réfugiés.

Au départ, le rôle du bureau d’Agadez était de transférer les demandeurs d’asile à Niamey. Mais là aussi, les services sont surchargés. Pour l’instant, l’UNHCR ne peut donc venir en aide qu’aux personnes « les plus vulnérables ». Les femmes, les enfants et les hommes atteints de maladies graves. Ils sont donc nourris et logés par l’organisation. Pour tous les autres, il faudra encore attendre deux mois, le temps que la construction du centre d’accueil d’Agadez soit achevée. « Ce centre accueillera, à titre volontaire, tous les demandeurs d’asile qui n’ont pas d’autre endroit où aller », explique Davies Kamau.

D’ici là, les hommes devront se contenter des ghettos. Dans un autre quartier d’Agadez, 180 Soudanais sont entassés dans une maison destinée à l’origine à accueillir une dizaine de personnes. Ici, l’ambiance est chaotique. On se sent étouffé, oppressé par tant de monde dans un si petit espace. Or, la saison chaude arrive à grands pas. Qu’adviendra-t-il de ces réfugiés, qui dorment à vingt dans un espace de quinze mètres carrés, lorsque les températures atteindront les 45 °C ?

C’est l’heure de la prière et les habitants se ruent sur leurs bouilloires pour faire leurs ablutions. L’eau gicle sur le sol. Les pieds s’enfoncent dans la boue.

Malgré la médiocrité de sa condition, l’un des réfugiés confie être satisfait du travail fourni par UNHCR. L’organisation a enregistré sa demande d’asile et il espère pouvoir bénéficier d’un avenir meilleur ici, à Agadez. Contrairement aux autres migrants qu’on croise dans la ville, les réfugiés soudanais ne rêvent pas d’Europe ou de fortune. Après toutes les souffrances endurées, ils aspirent simplement à la stabilité et à ce que leurs droits humains soient respectés.

Morgane Wirtz

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