Niger : quand Souleymane Elibi semait ses graines à Agadez

“J’ai promis à Dieu de me battre jusqu’à la fin. J’utiliserai les prêches et les balles s’il le faut pour passer son message”.

De son vrai nom Daoud Ali Othmane, alias Abou Souleimane Elibi (ou El-Libye), cet homme d’une trentaine d’années a été l’un des tous premiers candidats à l’expansion de l’État islamique en Afrique de l’Ouest. Son premier pays de « jihad » a été le Niger. Plus précisément Agadez.
Il ressort de nos investigations qu’il a bel et bien séjourné dans ce pays, notamment à Agadez, dans les régions frontalières à la Libye et à l’Algérie, ainsi qu’à Niamey, la capitale du pays. Nos sources datent le passage d’El-Libye entre la fin de l’année 2013 et le début de 2014.
Juste après l’effondrement du régime du colonel Khadafi en 2011, les États voisins de la Libye s’étaient retrouvés dans un véritable danger. Ce pays riche en pétrole allait devenir le centre de toutes les tentatives de contrôle, vers lequel convergeraient des combattants qui allaient aussi loucher vers les pays voisins. « C’est la période dite de téléchargement du terrorisme », nous explique Abderahamane D., un homme d’une cinquantaine d’années bien au courant de l’évolution du dossier libyen.

“J’ai promis à Dieu de me battre jusqu’à la fin. J’utiliserai les prêches et les balles s’il le faut pour passer son message”. C’est un Libyen très doué.

La circulation des biens et des personnes étant à l’époque plus fluide, El Libye a jeté son dévolu sur Agadez. Voici le récit d’un cheick qu’il a côtoyé pendant son séjour à Agadez. L’homme, au départ, refusait de parler. Mais nous sommes parvenus à le convaincre en lui montrant un document en arabe dans lequel Elibi cite lui-même Agadez et le quartier Sabon Gari. Il voulait me faire jurer sur le Coran que je ne citerai pas son nom. Mais après il m’a cru sur parole. Il m’a dit ceci :
« — Ali Othmane est certes un jeune théologien mais atypique. Il m’a été présenté par un grand imam connu à Agadez qui officie comme imam dans la grande mosquée dite de Khadafi. Cet étranger qu’est Daoud quand il est venu me voir m’a d’abord demandé ce que j’enseignais à mes disciples. Il m’a observé pendant deux jours et après a engagé un débat avec moi. Il voulait me convaincre d’enseigner comme lui : la Sunna et le Coran. J’avoue qu’il est très doué. Il appelle dans ses prêches à répandre la parole de Dieu en utilisant l’enseignement mais aussi le Jihad par les armes s’il le faut. Je retiens ce qui revient toujours dans ses dires cette phrase : “J’ai promis à Dieu de me battre jusqu’à la fin. J’utiliserai les prêches et les balles s’il le faut pour passer son message”. C’est un Libyen très doué. »
« Son engagement pour l’islam est total. Sa haine pour les Blancs n’a pas de pareil. Et cela, tous les élèves de ma médersa en ont témoigné après son départ. En tous cas, il est considéré comme un érudit bien au courant de la marche du monde. À Agadez, Cheikh Daoud a circulé pendant plusieurs semaines dans les médersas de la ville. Il y a passé quelques heures, parfois quelques jours dans certaines. Intervenant pour donner son point de vue sur l’importance d’étendre l’islam. Sur les complots sionistes visant à détruire l’islam…etc. Et fait curieux ! Il nous a dit que d’ici peu des militaires étrangers allaient envahir Agadez. Nous serions obligés de nous battre pour les chasser. Nous pensons tous qu’il délirait mais la popularité de son hébergeur fait qu’il soit davantage respecté. »
Après Agadez, Daoud s’est retrouvé à Niamey. Une source étrangère a confirmé à un collaborateur journaliste de notre cellule d’investigation que « le Niger a été alerté sur l’itinéraire de cet homme par les Américains. Nous avons remonté la filière de son logeur d’Agadez mais rien trouvé de compromettant. En effet, c’est vers la fin de 2014, après que El-Libye ait trouvé la mort à Homs, en Syrie, fin septembre 2017 que nous avons été saisis par les américains pour avoir des précisions. Je pense qu’il a quitté par l’aéroport de Niamey pour la Turquie. Il a dû profiter de l’absence de visa entre le Niger et la Turquie pour voyager ».
À Agadez, il y a plusieurs confréries musulmanes qui restent soudées avec celles du sud (Nigeria), du nord (Libye) et même de l’Arabie saoudite, du Qatar, de l’Iran… par l’échange des prêches.
Je n’ai pas pu entrer en contact avec les américains pour en savoir plus. Une de leurs sources qui voulait me parler d’ISIS au Niger et de Souleimane El Libye s’est rétractée au dernier moment.
Il faut le rappeler que c’est presque au même moment qu’il y a eu les attaques terroristes imputées au MUJAO, précisément, le 23 mai 2013. El Libye était-il lié à ces attentats ? Nous l’ignorons. Après ces attentats, un Arabe domicilié à Agadez et répondant au nom de Chérif a été arrêté pour avoir donné de l’aide (Informations, logement et vivres) aux terroristes ayant attaqué la caserne d’Agadez. Mais quelques années plus tard, il a été libéré sur insistance d’un parent à lui – Cherif Ould Abidine, un opérateur économique et politicien aujourd’hui décédé.
À la question de savoir si El Libye était revenu à Agadez après son passage, toutes nos sources restent vagues. « Je peux vous confirmer que d’autres sont venus de Libye et ont continué sur Niamey toujours au même moment et chez le même logeur ; toujours sous la bannière de la religion. À Agadez, il y a plusieurs confréries musulmanes qui restent soudées avec celles du sud (Nigeria), du nord (Libye) et même de l’Arabie saoudite, du Qatar, de l’Iran… par l’échange des prêches. »
La loi du silence règne à Agadez, où les gens ont peur d’être montrés du doigt comme celui qui renseigne la police ou qui parle des autres. Cependant, beaucoup de médersas à Agadez sont financées par des étrangers, de riches parrains arabes. Une source de financement opaque qui échappe au contrôle de l’État. Certes, un dispositif comme l’Observatoire Religieux qui prône la tolérance intra- et inter-religieuse a été mis en place depuis quelques années, mais il n’est pas habilité à se prononcer sur les sources de financement de ses membres.
Du coup à Agadez, des mosquées sortent de terre, avec des dénominations arabophones. Nulle trace sur l’origine de leurs bailleurs. Le partenaire nigérien s’arrange toujours pour construire sur le site de la mosquée une maison d’habitat pour lui et même des boutiques qu’il mettra en location.

La ville d’Agadez ne semble pas se soucier, du moins ses autorités sécuritaires, de ce que El-Libye ait pu y séjourner. Il se pourrait même qu’il y soit revenu plusieurs fois pour y semer des « graines », lesquelles peut-être ont déjà germé et produit des fruits toxiques pour la paix dans la région.

By: Ramdane Guidigoro

Written by CENOZO

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