Boureima Dodo, Secrétaire Exécutif de AREN, Secrétaire Permanent du RMB « Les véritables problèmes d’insécurité au Sahel sont les conséquences de l’absence de l’ETAT»

Boureima Dodo, est le Secrétaire Exécutif de l’AREN(l’Association pour la Redynamisation de l’Elevage au Niger). Il est également le Secrétaire permanent du RBM, le Réseau BillitalMaroobé, qui rassemble des milliers d’éleveurs pasteurs à travers le Sahel. Dans l’entretien qui suit, il revient sur l’épidémie de l’angine du cheval, une redoutable maladie qui sévit actuellement au Niger et qui a déjà tué des milliers d’ânes. Il parle également, actualité oblige, des conflits intercommunautaires qui sévissent dans la région du Liptako-Gourma, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Des conflits qui sont particulièrement aigus au Mali, où éleveurs peuls et agriculteurs Dozos et/Touaregs s’affrontent. .. Entretien.

Boureima Dodo : D’abord AREN, c’est une organisation à caractère national, donc propre au Niger. C’est à dire que ce sont les éleveurs du Niger qui ont voulu créer une association qui les représente comme un outil de plaidoyer, pour eux, en direction des décideurs et surtout aussi faire en sorte que ça soit un outil de développement. Donc, véritablement, je peux dire que AREN est une des organisations fondatrices de Billital Maroobé, qui est un réseau régional. Donc AREN, comme CRUS au Burkina Faso ou Tassaght au Mali, ont initié ce réseau pour répondre à des préoccupations bien précises, c’est-à-dire que, à un moment donné, AREN a remarqué que ses interventions ne suffisent pas à répondre aux préoccupations des éleveurs du fait de leurs transhumances dans des pays comme le Burkina, comme le Mali…Les autres aussi ont constaté la même chose. Partant de là, nous avons dit qu’il fallait mettre en commun nos efforts pour prendre en charge tous les aspects transfrontaliers, d’où l’idée de créer le RBM, le réseau Billital Maroobé, qui signifie en Peulh, promotion de l’élevage. Donc partant de là, et surtout qu’à un moment donné aussi, l’espace des pays sahéliens s’est avéré insuffisant pour prendre en charge la problématique de la transhumance, parce que, en fait dans la transhumance il y a les pays de départ et les pays côtiers qui sont les pays d’accueil, et entre eux il y a les pays de transit. Donc l’élevage nécessite tout un espace qui va des pays sahéliens vers les pays côtiers. Ce sont aussi des zones écologiques complémentaires et nous avons voulu que toutes ces zones-là soient structurées, organisées pour que la transhumance dans la sous-région soit apaisée. Aujourd’hui le RBM est dans 9(neuf) pays, allant de la Mauritanie au Tchad, en passant par le Sénégal, le Mali, le Niger, le Burkina, le Togo, le Bénin et le Nigéria. L’objectif principal du RBM, c’est d’abord de promouvoir l’élevage dans un contexte régional, faire en sorte que les politiques régionales aussi prennent en compte la dimension pastorale, parce que, comme vous le savez, l’élevage est un des facteurs d’intégration de la sous-région, un des meilleurs d’ailleurs, parce que vous ne pouvez pas trouver nulle part au monde un vecteur d’intégration comme l’élevage. Donc nous avons voulu doter le RBM d’un certain nombre de missions, celle, notamment de faire le plaidoyer au niveau régional, pour que tout ce qui est en rapport avec l’élevage, la transhumance, soit pris en compte, et d’autre part renforcer les capacités de nos organisations de base pour qu’elles puissent, au niveau des pays, être l’outil de plaidoyer pour cet élevage-là. Donc la différence essentielle c’est d’abord au niveau de l’espace, AREN est à l’intérieur du territoire du Niger alors que le réseau BillitalMaroobé a vocation à être un réseau africain. Donc, véritablement, ce sont des organisations comme AREN et autres qui ont constitué le réseau BillitalMaroobé.

Nous allons revenir sur cette question de transhumance, le temps de rappeler que vous avez occupé le devant de la scène dans les médias nationaux aussi bien qu’hexagonaux, à cause de cette maladie étrange, l’angine du cheval, qui est en train de faire des ravages au sein de la population asine, dans les régions d’Agadez au départ et aujourd’hui Maradi Zinder et un peu partout au Niger. De quoi s’agit-il exactement ?

D’abord je ne suis pas du domaine, mais il s’agit d’une maladie qui touche essentiellement les chevaux et les ânes et toutes leurs espèces d’une manière générale. C’est une sorte de maladie qui se manifeste à travers des rhumes, des angines et une forte fièvre. Et, très rapidement, s’il n’y a pas de soins appropriés, l’animal peut trépasser. Pour le moment, au Niger, cette maladie s’attaque essentiellement à la population asine. Et, malheureusement en termes d’espace, je croie qu’aujourd’hui, selon les informations que nous avons de nos membres, la plupart de nos régions sont atteintes par cette maladie-là.

On parle de milliers d’ânes qui sont en train de périr…

Effectivement, cette maladie a rapidement eu des impacts très négatifs pour deux raisons essentielles. D’abord c’est une maladie que les éleveurs ne maitrisent pas, donc pour un début on va dire que c’est accidentel, etc. Et donc elle se propage très rapidement, parce qu’elle est très contagieuse. Elle se propage à travers les marchés, à travers le nomadisme et la transhumance des animaux. D’autre part, au niveau de l’Etat même, au départ ils n’ont pas su que c’est une maladie très contagieuse, donc très dangereuse. Et même s’ils l’ont su, c’est peut-être un peu plus tard, pour que des mesures adéquates soient prises. Jusqu’à présent, je ne pense pas qu’il y ait la possibilité de faire une vaccination, je ne pense pas. Ce qui est sûr, ce qui a été développé jusqu’à présent, c’est d’abord un certain nombre de produits qu’on met ensemble pour traiter l’animal atteint, et aussi la prophylaxie. Ce sont, pour le moment, ces deux conditions réunies qui font que certains animaux atteints peuvent quand même être sauvés. Mais, malgré tout, dans certains troupeaux on enregistre jusqu’à 35% de perte.

Autant dire que les conséquences sont dramatiques, lorsqu’on connaît l’importance de l’âne et du cheval dans le milieu pastoral ?

Absolument, l’âne comme le cheval ont de tout temps été des animaux dont la portée économique et sociale est très importante dans nos pays. D’abord, en ce qui concerne le transport, avant que ne se multiplient les véhicules et autres, ce sont surtout ces animaux, avec le chameau bien sûr, qui servent de monture, donc de moyen de transport. Maintenant, de plus en plus, l’âne principalement, en milieu agropastoral, sert à tirer les charrettes, à transporter le fumier dans les champs, à transporter les femmes au marché…C’est véritablement un animal très important parce qu’il est utilisé généralement en milieu pastoral par les femmes pour leurs différentes activités : le puisage d’eau, le transport d’eau, le transport des tentes pour la construction des cases…En fait, l’âne a des fonctions multiples dans une société comme le milieu pastoral et sa perte constitue un véritable blocage pour le bon fonctionnement du système pastoral. C’est un coup dur pour tout ménage qui perd un âne ou ses ânes en milieu pastoral.

Il y a quelques années déjà, et en vue de protéger cette population, l’Etat du Niger a décidé de mettre fin à toute exportation des ânes. A ce sujet, selon les statistiques, on estime à ce jour la population des ânes à seulement 1.500 OOO, sur toute l’étendue du territoire national. Avec cette nouvelle maladie, n’y a pas lieu de craindre la disparition pure et simple de cette population au Niger, si des mesures idoines et rapides ne sont pas prises ?

Effectivement, l’espèce asine a connu beaucoup de problèmes ces dernières années comme tu l’as si bien dit. A un moment donné, nous avons relevé que des troupeaux d’ânes sont conduits vers le Nigéria en vue d’être exportés vers la Chine, selon les sources que nous avons eues, parce que sa peau constitue un produit très apprécié en Chine. Face à cette situation, l’Etat a pris effectivement des mesures pour empêcher ou limiter cette exportation, mais je ne pense pas qu’il y ait eu un suivi de l’application de ce texte-là, parce que nous voyons tout le temps, encore, des troupeaux d’ânes exportés vers le Nigéria et souvent vers le Burkina Faso voisin. Donc si cette maladie vient s’ajouter à cela, c’est véritablement toute l’espèce qui est en danger et par conséquent ce sont les ménages pauvres qui vont en souffrir et devenir encore davantage pauvres si des mesures idoines ne sont pas prises.

Revenons sur la question de transhumance pour dire que nous assistons ces derniers temps à des conflits intercommunautaires, au Niger, au Mali et au Burkina, avec leurs lots de morts et de désolation. Quelles sont les raisons profondes qui sont à l’origine de ces conflits ?

Ces conflits intercommunautaires tirent leurs sources de plusieurs appréciations en réalité. Parce que d’abord, si vous entendez parler de conflit agriculteurs-éleveurs, il s’agit au fond de conflits intercommunautaires. Parce que comme on le constatait un moment au Niger, pour une bagarre entre deux personnes, ça ne méritait vraiment une organisation de battue pour tuer une autre communauté. Malheureusement, c’était cela la règle à un moment donné. C’est pour dire que ce n’est pas le conflit en lui-même qui est mauvais, mais le mécanisme pour traiter ce conflit qui est en cause, parce que si ce mécanisme est défaillant ça devient dangereux, parce que le conflit peut dégénérer. Le conflit en lui-même est quotidien, au sein même d’une famille, entre les frères, les sœurs…Mais ce que nous constatons ces dernières années, c’est une sorte d’intolérance intercommunautaire. Parce que, généralement, avec l’amenuisement des ressources naturelles, il y a une concurrence pour l’accès à ces ressources-là. Et lorsque ce ne sont pas des règles et des mécanismes bien définis et huilés, avec un suivi strict qui encadrent l’exploitation de ces ressources, il y a alors très souvent des communautés qui s’arrogent le droit exclusif sur ces ressources-là. Et ce sont les frustrations nées de telles situations qui conduisent à des conflits autour des ressources naturelles. Mais il n’y a pas que les ressources naturelles parce que ces dernières années, nous assistons à des violences de toutes sortes, religieuses idéologiques…, qui font qu’aujourd’hui, il y a différents groupes armées qui sont multiethniques. Et pour des règlements de compte, certains groupes armés s’arrogent le droit de dire ou penser que c’est tel groupe qui est source de violences et ils s’attaquent entre eux. Donc il y a beaucoup d’amalgames et de stigmatisations autour de ces sources de conflits là. Mais malheureusement, c’est surtout l’absence de mécanismes de règlement des conflits d’une part, l’accès inéquitable aux ressources naturelles, et l’avènement de nouveaux acteurs qui veulent s’accaparer de ces ressources, qui créent des frustrations et une pression sur les ressources aussi bien que sur les relations intercommunautaires.(Il faut dire que ce phénomène de replis identitaires est récent parce que nos populations quand même sont assez brassées entre elles, et la mobilité et les déplacements en eux-mêmes ne constituaient véritablement pas des sources de problèmes), parce que nous savons que le peuplement de ces pays par exemple, est le fait des différents mouvements migratoires de ces populations. Nous savons aussi que saisonnièrement, des populations nigériennes ou sahéliennes vont vers des pays côtiers pour y travailler, gagner de l’argent et revenir. Donc il y avait ce brassage, ce mouvement auxquels les populations sont habituées, qui s’enrichit, qui développe des marchés et des liens sociaux qui étaient là. Aujourd’hui, pour plusieurs raisons, la pauvreté aidant, l’amenuisement des ressources naturelles faisant partie, et la mauvaise application des textes… tout cela contribue à favoriser ces replis identitaires pour se protéger ou surtout pour se créer d’autres espaces qu’ils n’avaient pas. Et je pense, au fond, que toute cette situation est le fait de l’absence des Etats, l’absence d’une puissance forte pour intervenir, pour s’interposer entre ces communautés et régler de manière équitable ces différends, qui crée et fait le lit de ces conflits intercommunautaires.

Le cas le plus illustratif reste celui du Mali où on enregistre ce genre de conflits jusqu’au centre du pays, le Macina notamment avec des dizaines de morts….Que faire pour éviter de telles situations dans notre pays et dans les pays du Sahel en général ?

Mon appréciation, je l’ai donnée et très souvent dans les lieux mêmes où se passent ces genres de choses, c’est l’absence de l’Etat. L’Etat n’est pas fort, les milices se constituent, il y a de l’amalgame, de la stigmatisation et chaque communauté stigmatise l’autre. Ce n’est pas propre au Mali, il y a aussi le cas du Burkina. Donc, la principale source de ces conflits, je pense, c’est l’absence de l’Etat. Il n y a plus d’Etat ou alors que l’Etat prend une attitude partisane. Sinon, comment laisser des groupes armés, même s’ils sont favorables ou ont des liens avec l’Etat, accepter que des groupes d’abord majoritairement de telle ethnie prendre les armes pour défendre ce que nos forces de défense et de sécurité doivent protéger. Ce n’est pas à une milice de le faire. Malheureusement nous l’avons vu au Mali, nous l’avons au Niger, nous l’avons vu au Burkina. Tant qu’on n’arrête pas ce genre de choses, il y aura toujours des vengeances et des amalgames, parce que, aujourd’hui avec la circulation rapide des armes, tout le monde peut accéder à l’arme et tout le monde veut créer sa propre milice pour venger un frère qui a perdu sa vie pour ça ou pour telle ou telle raison. Donc, la solution ne peut revenir qu’à l’Etat de prendre des dispositions. On a des armées, on a des policiers, on a des gendarmes, on a tout pour assurer la sécurité des populations et c’est du reste leur mission. En dehors de ces corps, aucune autre structure privée ne peut assurer la mission de défendre les populations. C’est ce qui se passe dans certains espaces. Il faut que les états se ressaisissent. C’est vrai que certains nos états sont aujourd’hui dépecés et n’ont par conséquent aucun pouvoir sur des groupes armés. Mais il faut qu’on évite l’amalgame. Aujourd’hui, beaucoup de pays ou de communautés pensent que la transhumance est source de conflits, et que ce sont les transhumants qui sont à la base de ces violences-là. C’est vrai que ces bandits peuvent profiter de la transhumance pour traverser les frontières et rentrer dans un pays, mais aucun transhumant ne peut quitter un pays sahélien pour aller ailleurs chercher de l’eau et du pâturage et se mettre dans des situations pour exercer d’autres violences. Il ne cherchera qu’à protéger ses animaux. Malheureusement, on pense que c’est la transhumance qui véhicule les violences, ce qui n’est pas vrai.

Interview réalisée

par Gorel Harouna

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