Les deux Français libérés au Burkina étaient sur le point d’être remis à des djihadistes au Mali

L’opération des forces spéciales a coûté la vie à deux militaires français. Selon nos informations, elle a été déclenchée pour empêcher que la katiba Macina, groupe proche d’Al-Qaida, ne récupère les otages.

Quatre otages retenus au Sahel, dont deux Français enlevés le 1er mai au Bénin, ont été libérés dans la nuit de jeudi à vendredi, a annoncé l’Elysée dans un communiqué, vendredi 10 mai. Outre les ressortissants français, Laurent Lassimouillas et Patrick Picque, une citoyenne américaine et une ressortissante sud-coréenne ont été libérées lors d’une opération militaire menée dans le nord du Burkina Faso par l’armée française.

Au cours de cette opération, deux officiers mariniers français relevant du commandement des opérations spéciales ont été tués. Les deux militaires, les maîtres Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, étaient respectivement chef de groupe et membre du commando Hubert, l’unité d’assaut de Saint-Mandrier composée de nageurs de combat.

Les deux ex-otages accueillis samedi à Villacoublay

Emmanuel Macron, qui « s’incline avec émotion et gravité devant le sacrifice de nos deux militaires », présidera une cérémonie d’hommage nationale aux Invalides prévue en début de semaine prochaine, fait savoir aussi l’Elysée. Le chef de l’Etat accueillera les deux ex-otages français, ainsi que l’ex-otage sud-coréenne, à leur retour en France, prévu samedi à 17 heures à Villacoublay.

Les deux Français libérés étaient des touristes partis en safari dans le parc de la Pendjari, dans le nord du Bénin, l’un des derniers sanctuaires de la vie sauvage en Afrique de l’Ouest, qui s’étend le long de la frontière avec le Burkina Faso. Attendus dans la soirée du 1er mai au lodge où ils devaient séjourner, ils n’étaient jamais revenus. Le corps de leur guide, défiguré, a été retrouvé dans le parc de Pendjari quelques jours plus tard. Très peu de détails avaient jusqu’ici émergé sur le déroulement précis des événements.

Le renseignement américain en soutien

L’opération, conduite par la Task Force Sabre, le volet forces spéciales de l’engagement militaire français au Sahel, a mobilisé d’importants moyens : des drones français et des moyens de renseignement américains, ainsi que plusieurs hélicoptères, selon les informations du Monde.

Un responsable français explique au Monde Afrique que, lorsque l’opération militaire a été déclenchée, les otages étaient « en transit au Burkina Faso, l’intention des ravisseurs étant de les emmener au Mali ». Un sénario développé lors d’une conférence de presse par le chef d’Etat major des armées, le général François Lecointre, selon qui les autorités françaises suivaient l’évolution des ravisseurs depuis plusieurs jours.

Elles ont saisi l’opportunité de les frapper en raison du risque « de transfèrement de ces otages à une autre organisation terroriste qui agit au Mali, et qui est la Katiba Macina », ce qui aurait dès lors « rendu impossible d’organiser une quelconque opération de libération ».

Découverte « surprise » de deux autres otages

Selon le responsable français cité précédemment, « le campement des ravisseurs avait été identifié par des moyens de surveillance » et la présence de deux autres otages sud-coréenne et américaine n’avait pas été anticipée : « Les services ont procédé à un temps d’observation qui a permis d’acquérir la forte présomption de la présence de nos deux ressortissants. La présence des deux autres otages a été une bonne surprise, mais cette opération est un demi-succès en raison de la perte de deux soldats. »
« Personne n’avait connaissance de leur présence », a confirmé la ministre française des armées Florence Parly lors d’une conférence de presse. Les deux femmes étaient otages « a priori depuis 28 jours », a précisé le chef d’Etat major des armées, le général François Lecointre.

La katiba Macina, un groupe djihadiste malien

Selon un responsable français, les commanditaires de cette prise d’otages appartenaient à la katiba Macina, un groupe djihadiste actif dans le centre du Mali. En novembre, l’armée française avait annoncé avoir « probablement » tué son chef, Amadou Koufa. L’information avait ensuite été confirmée par le gouvernement malien mais démentie par les faits : Amadou Koufa est depuis réapparu dans une vidéo, et un dernier message diffusé début mai sur les réseaux sociaux lui est encore attribué.
A la tête de la katiba Macina, ce prédicateur radical est devenu ces dernières années l’une figures du djihadisme au Mali et par extension au Sahel. Plus qu’un chef militaire, Amadou Koufa – un pseudonyme – est un guide spirituel, un catalyseur des frustrations des jeunes de sa région, principalement issus de la communauté peule, frustrations exploitées pour le projet djihadiste global. Agé d’une soixantaine d’années et originaire de la ville de Niafunké, il est devenu depuis janvier 2015 le fer de lance de l’insurrection islamiste dans le centre du Mali, désormais principal foyer de tensions de la région. En 2018, plus de 500 civils y ont été tués selon les Nations unies.
Début mars 2017, il apparaît aux côtés d’Iyad Ag-Ghali et de ténors d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’Al-Mourabitoune sur une vidéo entérinant la fusion de leurs mouvements au sein du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Tous ces hommes se placent alors sous le commandement du Touareg malien Iyad Ag-Ghali, confirmant une nouvelle fois la stratégie d’ancrage local voulue par les chefs algériens d’AQMI.
Une forme de consécration intervient le 8 novembre 2018 avec la publication d’une nouvelle vidéo de propagande où, cette fois, Amadou Koufa n’est plus en retrait mais face caméra, flanqué de son mentor et de l’Algérien Djamel Okacha qui aurait été tué en février par l’armée française. Il y accuse la France d’avoir envoyé « ses chiens dans le Macina », mais, surtout, son message est pour la première fois clairement destiné à rallier à la cause djihadiste, bien au-delà de sa région, les Peuls « massacrés parce qu’ils ont élevé le drapeau de l’islam ». « J’en appelle aux Peuls, où qu’ils se trouvent : au Sénégal, au Mali, au Niger, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Nigeria, au Ghana et au Cameroun », intime-t-il en fulfulde.

Un rapt mené par l’Etat islamique au Grand Sahara ?

Incarnation de cette nouvelle donne djihadiste où des problèmes extrêmement locaux sont instrumentalisés pour être intégrés au sein d’un combat global, Amadou Koufa n’a jamais revendiqué la moindre attaque en dehors de ses fiefs du centre du Mali. Ses combattants n’avaient jusqu’à preuve du contraire jamais enlevé d’Occidentaux.
Selon une source sécuritaire burkinabée, la katiba Macina aurait bien commandité et récupéré les deux otages français, mais le rapt dans le nord du Bénin aurait été mené par des éléments de l’organisation Etat islamique (EI) au Grand Sahara qui opèrent dans l’est du Burkina Faso. Si tel est bien le cas, cela attesterait que la katiba Macina, pourtant affiliée à Al-Qaida, possède des liens, déjà établis, avec les djihadistes burkinabés d’Ansaroul Islam mais aussi avec ceux de l’Etat islamique, une organisation pourtant concurrente. « Il faut faire attention à ne pas calquer les clivages observés au Moyen-Orient sur le Sahel. Les séparations sont beaucoup moins nettes que le laissent entendre les communicants des deux camps. Des informations font état que s’il existe des désaccords, des combattants des deux groupes se mélangent géographiquement et partagent des camps », prévient Yvan Guichaoua, chercheur à l’université du Kent.
Autre interrogation du moment : où ont été enlevées l’Américaine et la Sud-Coréenne libérées par l’armée française ? Leur disparition n’avait pas été signalée et aucun groupe terroriste n’avait revendiqué leur prise d’otage.

« Quatre vies ont été sauvées cette nuit »

La ministre des armées, Florence Parly, a salué l’opération dans un communiqué. « Je félicite l’ensemble des forces ayant mené cette opération complexe, ainsi que tous ceux qui y ont contribué : quatre vies ont été sauvées cette nuit, quatre vies entre les mains de terroristes », a déclaré la ministre.
« C’est avec émotion et tristesse que j’adresse mes pensées aux familles des deux militaires décédés, à leurs proches, à leurs frères d’armes et à l’ensemble des commandos marine. » Des hommages réitérés dans un communiqué par le chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, qui a souligné le « concours direct de l’opération “Barkhane”, des forces armées burkinabées et le soutien en renseignement américain ».

« Le Bénin est devenu une cible »

Pour le Bénin, ce double enlèvement confirme des craintes exprimées depuis des mois, celles de voir les groupes djihadistes descendre vers le golfe de Guinée au fur et à mesure de la déstabilisation du Burkina Faso. Selon une source béninoise proche des services de sécurité, « les autorités béninoises ont été averties depuis quelque temps déjà, par Ouagadougou, de l’infiltration d’éléments venus du Burkina Faso ».

Cette même source affirme que deux membres de l’Etat islamique, en lien avec le mouvement nigérian Boko Haram, rebaptisé « Etat islamique province d’Afrique de l’Ouest », ont été arrêtés au Bénin il y a quelques mois. Une information qui n’a jamais été rendue publique. « Le Bénin est ainsi devenu une cible », affirme notre interlocuteur.

Les deux Français enlevés le 1er mai dans le parc de la Pendjari « étaient dans une zone proche de la frontière avec le Burkina Faso que l’on ne fréquente pas habituellement », explique Eddie Celle, patron d’une agence touristique spécialisée dans les excursions dans cette zone préservée.

« Mais à cause de la sécheresse, on y emmenait des touristes ces derniers temps. Il y a là des points d’eau où viennent s’abreuver buffles et éléphants. » A cause de cette même sécheresse, la rivière à la frontière avec le Burkina Faso peut être franchie en voiture. C’est probablement le chemin que les ravisseurs ont emprunté.

Qui étaient les deux militaires tués lors de l’opération de libération des otages ?

Les deux militaires tués dans l’opération, les maîtres Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, respectivement nés en 1986 et en 1991, faisaient partie du commando Hubert, basé à Saint-Mandrier-sur-Mer (Var). Tous deux étaient déployés au Sahel depuis le 30 mars.

Cédric de Pierrepont était entré dans la marine nationale en 2004. Il occupait les fonctions de chef de groupe commando depuis le 1er avril 2018. En quinze ans de service, « il a plusieurs fois été engagé sur des théâtres d’opérations en Méditerranée, au Levant et au Sahel », décrit la marine nationale. Il était titulaire de quatre citations (à l’ordre du régiment, de la brigade et de la division) avec attribution de la croix de la valeur militaire et d’une citation à l’ordre de la brigade avec attribution de la médaille d’or de la défense nationale. Il était, en outre, décoré entre autres de la médaille d’or de la défense nationale « nageur de combat – missions d’opérations extérieures » et de la médaille d’outre-mer avec agrafes Sahel et Liban.

Alain Bertoncello était, lui, entré dans la marine nationale en 2011 et était membre des commandos marine depuis 2012. Il a « participé à des missions de défense des intérêts maritimes français aux Seychelles [protection des thoniers] et à plusieurs opérations extérieures au Qatar, au Levant et au Sahel ». Il était titulaire d’une citation à l’ordre du régiment avec attribution de la Médaille d’or de la Défense nationale et était décoré de la médaille d’outre-mer pour le Moyen-Orient ainsi que de la médaille d’argent de la défense nationale.

Source : Le Monde

Photo d’illustration : D.R

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