Littérature : Vent rouge : une poésie grenade

Hawad, poète et furigraphe Amajagh vient de publier aux Editions de l’Institut du Tout-Monde un recueil de poésie intitulé « Vent rouge ». Ce nouvel ouvrage est original. Il prolonge avec force les autres recueils du poète (depuis notamment Sahara, Visions atomiques) par les sujets traités, mais avec une puissance volcanique exceptionnelle. Ce recueil est un « cheval fou », un « attentat poétique » perpétré par l’auteur, dont personne ne sortira indemne. Le livre est traduit de Tamajaght par l’auteur et Hélène Claudot-Hawad. Il est accompagné de plusieurs « furigraphies » de l’auteur.
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Tourbillon apocalyptique

« Vent rouge » est un magma brûlant, poétique, qu’aucune ponctuation, aucune digue, ne freine. Sa forme volcanique, déchaînée, fiévreuse et délirante s’empare, dès le premier ver, du lecteur. Elle le broie, le façonne à sa guise avant de l’emporter sur son passage.
Ce recueil est un tourbillon littéraire. Le poète déclenche une éruption qui balaie et bouscule toutes les certitudes. Aux images cauchemardesques générées par le chaos atomique qui a léché de son feu, 17 fois, le désert des Touaregs, dépecé et militarisé, s’ajoutent les portraits de la nature en colère, révoltée contre les humains insatiables, et les prolongements et espoirs d’une révolte étouffée :

« Dix-septième soleil atomique/ avalé par le silence hurlant/ du désert/ Hiroshima ou Nakazaki ?/ Non non/ C’est le désert des Touaregs ».

Le lecteur est tout de suite happé par l’usage d’un vocabulaire apocalyptique qui traverse tout le livre pour tenter de dire l’innommable, nommer le chaos indescriptible qui s’est installé dans le pays des Touaregs.

« Débris lambeaux/ la charpente de la nation Touareg/ s’effondre déchiquetée ». C’est ce pays déchiré par les frontières, irradié par les essais atomiques, surexploité par des multinationales voraces, écumé par les drones et les terroristes, réduit en cendres, qui fait souffrir dans sa chair le poète, lui-même issu de ce « Peuple du vent ».
« Ce désert que nous traînons/nous a fait téter le fiel rouge/ cuivre du crépuscule ».
Pour conjurer et nommer en même temps cette situation, il use d’une poésie vertigineuse, au rythme rapide, frénétique qui « expectore les tripes » de la langue, « parole sans voyelle ni syllabe », « langage sans grammaire » qu’il faut lire à haute voix pour tenter de le domestiquer et d’en éprouver la charge sonore et poétique. Le texte « saturé de sens et de sons » est proche des Isebelbilen, glossolalie d’action que les Touareg lancent face à l’inconnu, comme l’écrit Hélène Claudot-Hawad dans le prélude de ce livre.
Au-dessus de ce monde touareg, assiégé, irradié, plongé dans le chaos, l’agonie et la pauvreté se dresse un deuxième monde « obèse » vivant dans l’opulence. « Europa vieille vache décrépite meuh/décadence et pollution s’exilent ».
La poésie fait souffler une « brise d’apocalypse » qui se déchaîne sur le monde. Un déluge minéral. « Un mur rouge s’est dressé » contre ceux qui exploitent la misère des pays du sud et leurs ressources minières pour s’enrichir et s’engraisser.

« Il ne s’agit pas cette fois/de justice/ce sont les représailles/du silence minéral/contre les fanfaronnades/de la force et de l’autorité/résurrection sonore des/méprisés piétinés ».

Un cataclysme vengeur s’empare de la terre pour répondre aux appétits des humains et à leur insatiable convoitise. Le monde fond sous un déluge de foudres. Le cataclysme écologique provoqué par l’exploitation à outrance des ressources de la terre menace tout d’extinction. Même le ciel et la terre fuient le néant qui engloutit tout.

« Le Sahara/ pétrole or uranium/ et les autres tréfonds de la terre projetée/dans le chaos céleste/vagissent/silence/l’os et la pierre hurlent/d’un autre drame/chaos ».

Les animaux et les insectes s’invitent dans le récit. Ils prennent les devants. Résistent. Le grillon, le hibou, le scorpion, le cheval, l’araignée, le chien et le chameau commentent la situation.

« Un chien/ à la place d’Adam expulsé/un chien/sur le minaret penché/le chien jappe l’appel/— Ô fidèles/moi le chien/je remplace votre muezzin/ moi je crois et atteste qu’Adam/mon camarade et compagnon dans l’enfer/ (…)/ j’atteste qu’Adam a été envoyé/vers le suprême enfer/ le Sahara des déchets atomiques/ J’atteste qu’il n’y a plus maintenant/ ni dieu ni Adam/ hormis le vent rouge ».

Des figures féminines, pilier de la société Touareg traditionnelle, résistent également à l’anéantissement.
Des images surréalistes et improbables ponctuent le récit.

« Une vieille femme/ portant son âne sur le cou/d’un palmier arraché/vole au dessus de la cité plage/La vieille femme crie – Le volcan/cœur de la terre a explosé/sur le nombril du Sahara/ Les Touaregs brûlent les effigies/ du temps de l’or/ pour retrouver la suite/ de leur cycle lunaire ».

Dans ce désastre, le poète fait aussi appel à des symboles historiques, à des dieux anciens « Vulcain et Aglé se tendent la main/Aglé le dieu libyque du vent ». Vulcain, dieu romain du feu, des volcans, de la forge, et patron des forgerons est ici la traduction adoptée pour Awjembak, figure touareg de l’ancêtre mythique des forgerons, qui a des attributs équivalents à Vulcain.

Attentat poétique

Que faire pour conjurer ce cataclysme et raccommoder la terre dévastée par le vent rouge et le ciel déchiré, tombé sur la tête des humains ? C’est la poésie et son alchimie de mots, de sons, d’émotions que Hawad propose comme possible résistance. Une poésie née des cendres du chaos, de la dévastation et des malheurs. Surréaliste bricolage d’un monde désolé qui s’obstine à continuer sa route.
La poésie, ce « troisième pied/ des épuisés », à l’image du « vent rouge » auquel rien ne résiste, traverse toute l’oeuvre. « Poésie/ Nous allons t’éprouver toi aussi/ comme nos provisions de salive/ desséchée flétrie », promet le poète. Il tient sa promesse. Il malmène la poésie, avec ses images convenues, pour lui faire dire ce qu’elle n’a pas l’habitude de dire.

« Faites de la poésie un cheval fou/qui frappe la langue/dans tous les angles de la démence ».

Il perpétue « un attentat poétique » dont les débris vont éclabousser la mémoire, l’histoire et la terre. La poésie, pour Hawad « est un râle de la foudre/conduit par l’éclair du souffle/arraché à la poitrine/ par le tonnerre des émotions/ qui le fracasse sur la figure/du poète ». Cette poésie est réactive, elle est née d’une situation de désastre : « …être poète n’est pas/jubiler de son poème/être poète est un nerf/comme la balle du regard ». Il s’agit de « regarder en face/le visage du chagrin » et non de le nier en se plaçant du côté des réalités agréables à entendre pour le pouvoir. « Je me suis exclu de la meute/troupeau de poètes », celle des poètes « cabots » qui épousent « la cause d’un souverain assassin ».

« Ô poésie maudite soit/l’espèce poète cabot/perroquet pique-assiette/courtisan ». Pour Hawad, « la poésie c’est de vitriol/blessure ouverte pus des veines/qui mordent le souffre solaire/Qarararat ! ».

Hawad est lucide. Il a bu jusqu’à la lie le magma brûlant de la poésie. Il prend ses distances avec ceux qui ont choisi de se soumettre en effaçant de leur mémoire cet épisode. La poésie, « écume de fiel », est là pour le leur rappeler et colmater le vide :

« Toi donne-moi une cartouche d’encre/et je te montrerai le cercle du souffle/où j’ai carbonisé la tyrannie/ de ton destin/Dans ma gorge coule/un torrent de venin crachats/ remplis d’anathèmes et d’injures/je n’éprouve ni pitié ni remord/ pour pardonner à certains de nos sourds/ amnésiques du XIe siècle/d’avoir comme des moutons répondu/ à l’appel oriental d’un muezzin/ poussant à la meute à la battue/à la tuerie pour déferler/avec haine et frustration/sur l’Andalousie après avoir piétiné/ Tamazgha terre de la Mauroria/ terre cendre et sang/ des femmes et des hommes/ libres. »

Il encourage à mener des attentats poétiques avec le seul pouvoir de l’imaginaire. L’espoir d’une résistance des êtres qui écument aux marges du monde est permis.

« Détournez l’humiliation/vers le mirage/pour qu’un orage de printemps/et de poésie/se pose sur le désert/égarez la raison du conquérant/afin que s’éclipsent/les torchères à pétrole/et que les ruisseaux/submergent les mines/et que le cœur du minéral uranium/se mue en crottin d’ânesse ».

Dénoncer les assujettissements.

Dans ce monde cauchemardesque, qui a perdu tout sens, le poète dénonce l’assujettissement de tous ceux qui, parmi les peuples minorisés comme les Berbères, se laissent enrôler dans des causes absurdes qui ne les concernent pas.

« Et toi tête-nouée/toi l’héritier de leurs frustrations/influencé par leur assassin omeyyade/collectionneur de têtes de tes ancêtres/roquet adoptif imitateur/des gestes bourreaux/qui ont égorgé ton père/lamente-toi »

Etourdis, asservis, ils sont réduits à l’état de sous-hommes, à de vulgaires décors ornant les salons, à des objets de musée. Sans n’avoir plus aucun libre arbitre.

« Butin de la conquête/panier cuir de mouflon/de Tamanrasset à Alger c’est toi/le panier de mouflon rempli/d’horizons mirages et de vents/Ils te traînent (…)/et toi tu es encore vivant/momie tu les remercies/de te mettre debout/dans leur salon/toi cuir panier de mouflon/rempli des vents horizons et mirages ».

« Cœur grenade »

Pour que le désert des Touareg, gavé de déchets, devenu la décharge des bombes atomiques, reprenne ses droits sur les hommes, il faut que l’incendie de la poésie furigraphique le prive de ses richesses.

« Ô salives fièvre de scorpions/brûlez l’uranium/or pétrole brûlez le feu/termite mange-minéral touareg/essence de l’homme dans le feu/brûlez le feu ». Les richesses dont regorge la terre des Touaregs sont devenues leur malédiction, l’origine de leurs multiples souffrances, de leurs errances.

Ce recueil bouillonnant et révolté est un appel au questionnement, à la remise en question de toutes les certitudes.

« Toi aussi tu as un cœur grenade/à faire tonner lève toi/fais écho au rire de la foudre/écho des poumons muselés ».

C’est un avertissement avant-gardiste du drame écologique qui guette les humains à cause de leur voracité et aussi à la menace d’anéantissement qui plane sur le peuple Touareg jeté à la marge de la marge.
C’est également un appel lancé par le poète à chacun d’entre nous pour s’accaparer de soi-même, ne pas plier, ne pas se prosterner, combattre comme le « taureau sans cou » (azger-wer-ila-iri), figure mythique berbère appelée aussi Agurzil, qui n’accepte pas les prières ni les louanges. Ce dieu berbère du chaos et de la guerre, que personne ne peut corrompre, est inflexible.
Soyons, nous aussi, sans pitié dans nos combats contre l’assujettissement, semble nous dire le poète avant que le vent rouge nous extermine.

Un conseil. Lisez ce livre à haute voix pour mieux en comprendre la force poétique, la créativité littéraire et le sens profond.

Par Aksil Azergui

Source : http://tamazgha.fr/Vent-rouge-Une-poesie-grenade.html

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