Le sel et le natron : deux denrées intarissables, exploitées et commercialisées au Kawar, depuis des lustres

Le sous-sol, nigérien est riche en ressources minérales. Il regorge d’importantes réserves d’uranium, de fer, de phosphates, de charbon, d’or, de calcaire, de gypse mais aussi de sel, de natron, etc. La zone du Kawar (Région d’Agadez) est surtout connue pour sa richesse en sel et en natron. C’est surtout Fachi, Dirkou et Bilma (Fachi, appelé aussi Agram, est située à 170 km de Bilma, Chef-lieu du département, situé à 47 km au sud-Ouest de Dirkou, distante elle-même de 770 kms à l’Est d’Agadez), qui sont renommées dans l’exploitation et la commercialisation de ces produits miniers intarissables et impérissables. Depuis les temps immémoriaux, des nombreuses caravanes traversaient cet environnement hostile voire inhospitalier (composé essentiellement des dunes de sables, de collines, des montagnes, des vents violents, de chaleur, de froid). Ces grandes caravanes comprenant des centaines de chameaux vont à la recherche de ces deux denrées, (y compris des dattes), tant appréciées, aussi bien par les hommes que par les animaux. Ces routes de sel et de natron, ainsi nommées par les caravaniers continue de jouer leurs rôle même si certain défis (insécurité, changement climatique, migration clandestine), contribuent à considérablement ralentir ces échanges entre le nord et le sud nigérien. Néanmoins, la production annuelle du sel et du natron kawariens est estimée à 21.000 tonnes.

Selon M. Mahamat Boubacar Djaram, Maire de Dirkou, le Kawar est une zone qui possède des gisements de sel et de natron. « Le sel blanc est produit pour la consommation humaine et le sel de couleur est destiné à la consommation animale. Quant au natron, il y a aussi deux variétés dont le natron rouge d’Achounouma et le natron blanc d’Argui », indique l’élu. Par exemple, selon lui, le natron de la mare de natron d’Achounouma réunit, chaque fin de l’année, entre octobre et novembre, de nombreuses personnes qui installent des maisons temporaires à base des feuilles de palmiers pour la campagne d’extraction du natron. « C’était un trajet de plusieurs kilomètres que nous parcourions à pieds pour assister à ces festivités chaque année », rappelle-t-il. M. Djaram rappelle aussi que ‘‘la Route du Sel’’ part de l’Air, traverse le désert du Ténéré et arrive enfin à Bilma où se trouvent les salines, lieu d’extraction du sel indispensable aux transactions. « Cette route a fait l’objet d’un commerce caravanier pendant plusieurs siècles. Au cœur de la transaction : l’échange du mil contre du sel et des dattes», ajoute M. Djaram. « L’exploitation des salines de natron qui était le seul ressort des populations autochtones, dépassait le cadre de l’économie locale et le natron constituait la denrée principale du courant commercial. Il est donc important de revaloriser ces deux filières, et cela ne peut se faire qu’à travers ce qu’on appelle le Développement Economique Local (DEL) », suggère-t-il.

Agé de 82 ans, le vieux Kaoura Sabar, un habitant de Fachi témoigne : « Les oasis du Kawar qui produisent le sel et le natron sont à l’origine de la caravane du sel : ‘‘Ayri’’ ou la ‘‘tafordé’’ (la route du sel) ou encore ‘‘taghlam’’ (la file de chameaux). Cet écosystème a été un centre productif depuis la nuit des temps où les populations diverses, Kanouri, berbères, Toubou ont vécu en symbiose dans l’isolement du Sahara ». Selon l’ancien, ce caractère de pérennité est reflété depuis l’antiquité et continue jusqu’à nos jours avec très peu de changement. Les salines de Kalala, les plus importantes du Kawar se trouvent à 3 kilomètres de Bilma. Les exploitants y extraits du sel blanc de cuisine ou ‘‘Yargal et le sel gris destiné à l’alimentation du bétail qui est sous forme de galette ou ‘‘Fochi’’ et en pain dit Manda ou ‘‘kour’’. Kargam Abary, un habitant Bilma, produit du sel et du natron, à travers une dizaine de puits, au niveau du site de Kalala.

Une méthode d’exploitation restée archaïque

Expliquant la même méthode d’extraction utilisée depuis plusieurs siècles dans les marrants salés, Kargam Abary déclare, qu’il faut, tout d’abord procédé à la construction et la reconstruction des ‘‘abatols’’ (sorte de puits salés), après chaque saison des pluies, surtout ceux qui sont détruits par la pluie. Ces ‘‘abatols’’, se construise à partir d’une terre glaiseuse, qui est une fois séchées et durcies elles pourront recevoir l’eau salée. « On passe ensuite, poursuit-il au lavage de la terre. Ce qui permet à l’eau des sources salée, de se chargée encore plus du sel de la terre avoisinante. Cette opération se fait dans une grande ‘‘abatol’’ que l’on remplit d’eau et de terre, ensuite une personne piétinera simplement la gadoue pour faciliter le transfert du sel à l’eau. On laisse reposer cette mixture 2 à 3 jours puis on prélève l’eau délicatement pour la déverser dans les petites ‘‘abatols’’. Ensuite on procède au travail solaire et la mise en boîte. C’est en ce temps-là que le soleil commence alors son œuvre d’évaporation, et rapidement une croûte de sel se forme en surface. On asperge régulièrement d’eau salée cette croûte pour la casser et laisser s’évaporer l’eau. Lorsque « l’abatol’’ ne contient plus que du sel encore humide, on commence à le façonner en galette ou en pain, qui finit de sécher pour le transport », explique M. Abary. Par rapport au transport, l’exploitant indique qu’à ce sujet, les chameaux restent les rois du transport saharien. Mais, indique-t-il, aujourd’hui chaque occasion est bonne, camions, fraudeurs, passants occasionnels peuvent livrer la production dans les zones de commercialisation comme Agadez, Balleyara, Madaoua, etc. « Cependant, une part de ce sel ou du natron est commercialisée sur place notamment par les chameliers, qui organise chaque année des caravanes, mais aussi d’autres groupes venus à la cure salée annuelle pour échanger le sel ou le natron, contre mil et autres étoffes. Une partie est également exportée vers d’autres horizons en échange d’autres produits alimentaires », précise Kargam Abary.

Les prix du sel et du natron dépendent de leurs qualités

Selon l’explication du producteur de sel et de natron domicilié à Dirkou, Brah Laouel, le sel de cuisine est constitué de la crème des couches de matières saumâtres, qui se forment sous les effets de l’évaporation tandis que l’aliment du bétail est obtenu par le malaxage de divers résidus (argile, pierre, produit visqueux ou kali). Il précise que l’exploitation des salines est soumise à des règles et des rites respectés par les sauniers. « Il s’agit des mesures de régulation et de promotion dont des prières, des sacrifices et de l’aumône appelés ‘‘Adoumtou’’ et ‘‘Kouroumtou’’. Selon Brah Laouel, les prix de ces deux denrées sont fonction de leur qualité mais aussi des périodes. « Par exemple, en moyenne, le natron est vendu à 750 FCFA le sac de 100 kg, et revendu entre 10.000 à 15.000 francs à Kano (Nigeria). 35 FCFA c’est le prix local de la galette de sel, alors qu’elle est vendue à 750 CFA en zone de consommation, le pain de sel est cédé à 750 FCFA, au niveau des sites d’extraction pour coûter à près de 4.500 FCFA dans les marchés de destination. C’est surtout le transport qui coûte cher dans la commercialisation de ce produit », soupire Laouel. Il ajoute que la faible valorisation des productions, la menace d’ensablement, le coût de transport dû à l’enclavement des zones de production, la concurrence des produits industriels, constituent aujourd’hui les différents défis liés à l’exploitation et à la commercialisation des filières du sel et du natron.

Le Kawar, cette zone enclavée en proie aux flux migratoires dans un contexte d’insécurité et de divers trafics, dispose d’énormes potentialités (dattes, sel, natron, patrimoines culturels, réserves eaux, ressources minières dont or et pétrole) mais elle est en butte à l’enclavement, à la faible valorisation de ses richesses et à la faible intervention des partenaires.

Mahamadou DIALLO – ONEP
(Envoyé Spécial)

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