Opinion : Leçons du Soudan

Au Soudan, depuis six (6) jours, deux (2) généraux putschistes, Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdane Dogla, l’un chef suprême de l’armée régulière soudanaise, et l’autre chef des forces de soutien rapide, un avatar du conflit armé du Darfour, se battent pour le pouvoir qu’ils avaient confisqué ensemble en octobre 2021 des mains d’un gouvernement de transition dirigé par un civil.

Les affrontements entre les hommes de deux camps rivaux, en plein cœur de Khartoum, la capitale, et dans d’autres localités, ont fait déjà plus de 300 morts, pour la plupart civils ; et malgré les nombreux appels à la retenue, ils se poursuivent encore, avec autant, sinon plus, d’intensité qu’au premier jour, mitraillettes, blindés et avions de combats crachant du feu et créant une véritable atmosphère de guerre totale.
C’est la deuxième fois, dans l’histoire du Soudan, qu’une tentative de prise du pouvoir par des hommes armés prend une telle tournure à Khartoum même.
En avril 2019, il y a de cela quatre (4) ans, presque jour pour jour, les deux célèbres généraux, al-Burhan et Hamdane, aujourd’hui ennemis jurés, avaient pourtant fait irruption sur la scène politique soudanaise en bons alliés ; car, c’est ensemble qu’ils décidèrent cette année-là de sceller le sort du général Omar el-Bachir, l’homme fort du Soudan, profitant d’une insurrection populaire qui risquait de mettre fin à cinq (5) décennies de mainmise de l’armée sur le pays.
En octobre 2021, deux (2) ans après le coup d’état d’avril 2019, c’est également ensemble qu’ils décidèrent de s’emparer à nouveau du pouvoir, en arrêtant de nombreux membres civils du gouvernement de transition dirigé par le Premier ministre Abdallah Hamdok, un économiste choisi à ce poste par les forces vives du pays, finalement contraint à la démission. C’est donc ensemble qu’ils ont triomphé, à coups de tueries, de ce qui promettait d’être la troisième révolution soudanaise, après celles de 1964 et 1985.

Après une idylle de quatre (4) ans, au grand dam des animateurs du mouvement populaire de contestation de la politique d’austérité de Omar el-Bachir, durement réprimés et spoliés de leur victoire contre la dictature, les deux sinistres généraux, al-Burhan et Hamdane, sont aujourd’hui à couteaux tirés ; et le risque est grand de voir leur rivalité ouvrir des perspectives sombres pour ce pays qui, depuis au moins cinquante (50) ans qu’il ploie sous les bottes des militaires, n’a connu que rébellions armées et guerres de sécession.

Le Soudan, et c’est le lieu de le rappeler, a connu, depuis son accession à l’indépendance en 1956, six (6) coups d’état militaires ; et les civils, dont les mouvements de contestation ont souvent ouvert la voie à ces coups d’état, n’ont dirigé le pays que pendant seulement dix (10) ans : après l’indépendance, de 1956 à 1958, après le départ du général Aboud, de 1964 à 1969 et après la chute du général Gaafar el-Nimeiri, de 1986 à 1989.

Au Soudan, l’armée nationale, dont la mission première est la défense de l’intégrité territoriale du pays, n’a donc jamais cessé d’être l’acteur dominant de la scène politique du pays ; elle a presque toujours conservé le pouvoir politique, même lorsque ceux qu’elle a porté au pouvoir ont tronqué leurs uniformes contre des tenues civiles pour se légitimer par la voie des urnes. Cette armée nationale, si efficace chaque fois qu’il s’est agi d’écraser dans le sang ou de récupérer les luttes populaires pour le changement, n’a pas réussi là où elle était le plus attendue, à savoir la sauvegarde l’intégrité territoriale du pays. En janvier 2011, six (6) ans après la signature d’un accord de paix avec les groupes armés, elle avait pris acte de l’indépendance du Sud Soudan ; et le Soudan est entré ainsi dans l’histoire comme le second pays africain, après l’Éthiopie en 1991, à connaitre une partition territoriale actée par la « communauté internationale ».

Au cours de ses longues années de confiscation du pouvoir, l’armée nationale soudanaise n’a pas seulement échoué à accomplir sa mission première, à savoir la défense de l’intégrité territoriale du pays ; elle a aussi échoué, depuis l’apparition des milices Janjawid dans le sillage du conflit armé au Darfour, à rester la seule force régulière et légitime du pays à assumer cette noble mission. Les milices Janjawid, auteures présumées de crimes abominables au Darfour, sont devenues les forces de soutien rapide (FSR) ; et ce sont elles qui tentent aujourd’hui de prendre le pouvoir politique à Khartoum, défiant une armée nationale, qui tergiverse à les incorporer dans ses rangs.
Leur chef, le général Hamdane, se prévaut, face à ses rivaux de l’armée nationale, de ses « succès guerriers » contre les groupes armés irrédentistes du Darfour ; et il ne tient pas seulement à ce que ses milliers d’hommes soient incorporés dans l’armée nationale, il se rêve aussi, comme l’a souligné un journal, en Président de ce pays auquel il estime avoir évité une sécession à l’ouest.

Au Sahel, région en proie à des conflits armés d’ampleur inédite, les événements en cours au Soudan méritent de retenir l’attention de tous ; car, ils sont, comme d’ailleurs toute l’histoire politique récente de ce pays, riches d’enseignements permettant d’engager une réflexion prospective. La principale leçon à prendre de ces événements tragiques, c’est que tout État qui encourage ou tolère la mise en place des milices d’autodéfense à base communautaire pour affronter des groupes armés défiant son autorité, court le risque de voir un jour celles-ci constituer, à leur tour, une menace sérieuse à sa stabilité.
Le Soudan, qui s’était doté des telles milices pour affronter les groupes armés irrédentistes du Darfour, en fait l’amère expérience depuis plusieurs années déjà ; car, il ne faut jamais oublier que ce sont les exactions commises par ces milices au Darfour qui ont fragilisé les autorités de Khartoum et ouvert la voie à la partition du pays en 2011. La crise actuelle, qui intervient presque quatre (4) ans après la troisième révolution soudanaise, risque de retarder encore le processus de retour à un pouvoir civil ; et même si le général Hamdane, chef des forces de soutien rapide, se dit favorable à une telle perspective, on sait que le rétablissement de la démocratie au Soudan n’est pas dans son plan.

Moussa Tchangari

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