Quel est le coût de l’éducation pour le Niger où les femmes mettent encore sept enfants au monde, en moyenne ?
Cet effort est très important et pèse sur nos finances publiques. Nous consacrons 25 % du budget de l’État à l’éducation. J’ai fait construire 15 000 classes lors de mon premier quinquennat. De 1960 à 2010, l’État n’en avait créé que 20 000. Notre politique est celle de l’école gratuite et obligatoire jusqu’à 16 ans. En Afrique, beaucoup de jeunes diplômés ne trouvent pas d’emplois faute d’adaptation des filières aux besoins du marché du travail. Nous mettons aussi l’accent sur la formation professionnelle et technique afin que les jeunes puissent avoir un métier. L’enseignement technique représentait 8 % de l’ensemble du système éducatif en 2011. Cette part est passée à 25 % en 2016 et sera de 40 % en 2021 contre 60 % dans les pays émergents. L’objectif est de créer, à tous les niveaux d’apprentissage (primaire, secondaire), des passerelles vers les métiers techniques. On forme de plus en plus de plombiers, serruriers et mécaniciens.
Que faites-vous pour contrôler l’enseignement dans les écoles coraniques (médersas) ?
Nous avons mis en place un dispositif pour encadrer les écoles coraniques. Nous avons défini des enseignements généraux et nous formons les enseignants qui dispensent les matières classiques à côté de l’apprentissage religieux. Les étudiants de ces écoles étudient le Coran en début de matinée, ce qui est très bon pour travailler leur mémoire, et suivent ensuite les mêmes programmes généraux que dans le système éducatif national. Nous avons aussi inclus des enseignements sur l’histoire des religions, comme en Europe. C’est un point très important pour enseigner la tolérance et contrer la radicalisation.
« Il existe des arguments religieux et traditionnels pour faire le plaidoyer d’une bonne transition démographique »
Emmanuel Macron a dit, au dernier G20 à Hambourg, qu’il était impossible d’engager un cycle de développement dans les pays à très forte natalité ?
Le président français n’a rien dit d’anormal. Nous aussi nous pensons qu’il faut maîtriser la croissance démographique qui est de 3,9 % au Niger. Notre population, à ce rythme, doublera dans 18 ans. Nous luttons contre la mortalité infantile et avons pris des mesures pour créer les conditions pour réduire la natalité. Cela passe par des politiques publiques de scolarisation des jeunes filles, d’allongement du temps passé à l’école, de lutte contre les mariages précoces. Nous avons même créé « l’école des maris ». Sur ces questions-là ce sont aussi les hommes qu’il faut convaincre notamment pour le contrôle des naissances. Il existe même des arguments religieux et traditionnels pour faire le plaidoyer d’une bonne transition démographique. Du temps du prophète, l’islam recommandait aux femmes d’allaiter jusqu’à l’âge de deux ans, ce qui permet d’espacer les naissances. Il y a aussi des versets qui évoquent les mises au monde en période de sécheresse. Et qui recommandent de ne pas faire d’enfants que l’on ne peut nourrir et soigner. Et puis les femmes peuvent naturellement utiliser des moyens plus modernes comme la contraception. C’est aussi en créant des emplois que le facteur démographique se transformera en dividende économique.
Cela ressemble à ce que prêche, en matière de développement, l’émir moderne de Kano au Nigeria, Sanusi Lamido Sanusi II, qui travaille à la réforme de la famille ?
La pensée de l’émir va dans le bon sens. Nous sommes en contact avec lui et nos chefs traditionnels aussi. Ils partagent la même vision et la promeuvent auprès de leur population. Des pays comme le Maroc et l’Égypte sont sur la même voie. Ils obtiennent des taux de croissance importants et ont réduit leur natalité. Le ministère de l’Intérieur s’intéresse aux questions de la population. Il existe la formation des imams et la réglementation des prêches même si nous ne sommes pas encore à la phase de mise en œuvre. Nous allons coopérer avec le Maroc et la confrérie soufie de la Tidjania, très implantée en Afrique, pour promouvoir un islam qui est par nature modéré.
Né dans les années 1970, le courant salafiste Izala, qui pratique l’entrisme dans les Etats du nord du Nigeria et a compté à ses débuts Mohamed Yusuf (le fondateur de Boko Haram), s’est répandu aux pays voisins du Lac Tchad. Cela vous inquiète-t-il ?
Au Niger, il y a toujours un marabout dans le vestibule des chefs traditionnels. Les marabouts sont attachés au pouvoir traditionnel et prônent un islam authentique et conservateur. Les Izalas prônent le djihad pour endiguer le soufisme mais pas au point de prendre les armes. Nous dialoguons constamment avec eux.
Craignez-vous que les digues constitutionnelles sautent en Afrique de l’ouest en permettant aux partis religieux d’entrer en politique sous influence des pays du Golfe ou de l’Iran ?
L’influence de ces pays n’est pas à sous-estimer et il faut prévoir des digues. Il n’y a pas d’islam d’État au Niger mais un encadrement. Il y a des organisations qui revendiquent l’instauration de la charia et veulent se mesurer lors des élections. On a toujours combattu cela et on en sortira tôt ou tard. Il faut mettre des garde-fous pour contenir la tendance à confessionnaliser la politique. Ce phénomène a déjà eu lieu au Moyen âge en Europe avec la religion chrétienne. On vit une sorte de Moyen-Âge de l’Islam, avec des réformes et des affrontements. Encore une fois, le développement est crucial. Si, on n’arrive pas à donner de l’emploi à nos jeunes de moins de 25 ans, qui représentent 75 % de la population, alors nos digues pour contrer ces forces s’écrouleront. C’est une course contre la montre.
L’emploi local passe aussi par la création d’une zone de libre-échange en Afrique, projet que vous portez à l’Union africaine. N’est-ce pas un projet utopiste compte tenu des différences de développement des pays du continent et des barrières tarifaires et non tarifaires ?
Ce projet est réaliste et nécessaire pour l’Afrique. Le développement exige plus d’intégration et un marché continental qui soit libéralisé au sein d’un marché commun que nous ouvrirons progressivement à 90 % des produits. L’Afrique a 84 000 kilomètres de frontières, elle est balkanisée. On commerce plus avec l’extérieur qu’entre nous. Le commerce intra-africain ne représente que 13 % des échanges continentaux. Car les infrastructures manquent, à commencer par les routes, et le trafic aérien est encore trop faible. Ce qui contraint l’Afrique à importer ses produits d’autres continents. Ce manque d’intégration freine l’économie et renforce la pauvreté, de même que le chômage. Certains jeunes Africains voient leur avenir en Europe, au risque de mourir dans le désert ou en pleine mer. Ou de rejoindre les groupes armés et terroristes qui se jouent des frontières, qu’elles soient ouvertes ou fermées. Le marché commun en Afrique peut permettre de sortir de cette situation. Mais, pour y arriver, il faut produire et lever tous ces obstacles qui entravent le commerce intra-africain.
Pensez-vous que certains pays d’Afrique centrale, très sourcilleux sur leur souveraineté et le contrôle aux frontières, vont s’ouvrir et ne pas remettre en cause le passeport africain ?
Chaque pays ne peut s’intégrer de la même manière. Nous devons faire évoluer les choses, œuvrer pour la réouverture de certaines frontières fermées depuis des décennies. J’ai récupéré mon passeport africain lors du dernier sommet l’UA. Je ne doute pas que son utilisation va s’étendre afin de faciliter la libre circulation. Les blocs régionaux s’organisent aussi. La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest doit avoir sa monnaie unique et la France est ouverte sur le sujet en ne faisant pas du maintien franc CFA un combat d’arrière-garde.
Source : OPINION
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