Tribune : que faut-il retenir de la marche du 4 mars ?

A l’appel des partis politiques membres de la mouvance présidentielle, des milliers de personnes ont manifesté ce matin pour apporter leur soutien au Président Issoufou et le rassurer qu’il n’est pas seul. C’est ainsi que le Président du PNDS, M. Bazoum Mohamed, a présenté, à la face du monde entier, les objectifs de cette grande marche; et contrairement à ce que d’aucuns seraient tentés de croire, cela ne peut que nous réjouir, nous qui n’avons eu de cesse de manifester contre les mesures antisociales contenues dans la loi de finances 2018.

Dans son discours, le Président du PNDS a, certes, évoqué, longuement d’ailleurs, cette fameuse loi de finances, objet d’une vive contestation sociale et politique; mais, il s’est gardé d’affirmer que ce corps compact, qui s’est formé sur une Place de la concertation devenue si étroite, est venu soutenir ces mesures. Lui-même n’a pas osé dire que ces mesures étaient salvatrices et qu’elles pourraient apporter à tous un quelconque bien-être; il dit plutôt qu’elles n’affectent en rien, ou plus exactement qu’elles n’ont pas, trois mois après leur entrée en vigueur, entrainé la hausse des denrées de première nécessité.

Bien entendu, il s’agit là d’un mensonge grossier; mais, un mensonge excusable, puisque le sieur Bazoum a eu, l’honnêteté (c’est déjà bien et inattendu de sa part) de reconnaitre que ces mesures font tort à quelques contribuables. Ceux qui sont dans ce cas, se reconnaitront eux-mêmes; et nous osons croire qu’ils se mobiliseront dans les jours à venir, non pas pour relever le défi du nombre qui constitue le principal enjeu de cette marche du 4 mars, mais pour que les princes qui nous narguent se rendent eux-mêmes compte qu’il ne s’agit pas d’une poignée de personnes que l’on ignorer royalement. Ceux qui sont dans ce cas, ce sont des milliers, voire des millions de personnes, qui vivent de leur propre travail, qui ne savent pas c’est quoi prébendes et avantages républicains, qui paient cash pour leur alimentation, leur santé, leur transport, leur logement, et parfois même pour l’éducation de leurs enfants.

Le discours de Bazoum Mohamed a ceci d’intéressant qu’il nous révèle clairement que la peur constitue le principal ressort de cette initiative de marche de soutien au Président Issoufou. D’abord, la peur de voir se réaliser ce qu’il appelle « le funeste projet insurrectionnel » concocté par le parti Modem FA de Hama à Abidjan, un projet finalement utile, puisqu’il peut servir de repoussoir et d’aiguillon pour une mobilisation de ce type. En tout cas, nul ne peut nier la marche d’aujourd’hui a montre d’abord que Hama Amadou est une source d’inspiration pour ses adversaires (c’est Hama qui, le premier, a eu l’idée d’une marche contre la société civile en 2005) ; tout comme le discours prononcé par Bazoum Mohamed a montré qu’il est aussi un adversaire idéal, d’abord pour ce qu’il incarne à cause de son passé, ensuite parce que la référence à sa figure permet d’entretenir des faux clivages, dont le plus pernicieux est le régionalisme.

Aujourd’hui, tout le monde a compris que c’est la peur qui a poussé les responsables des partis de la majorité présidentielle, notamment ceux du PNDS, à rejoindre au soleil leurs propres militants ; même s’il est vrai que les principaux leaders ont pris soin de se faire installer un hangar pour se protéger un peu (quelle belle image que celle de ce hangar des chefs qui illustre la fracture entre les deux mondes qui ont marché). En écoutant le discours de Bazoum Mohamed, notamment sa diatribe contre la société civile, nul ne peut douter que le pouvoir rend amnésique. Le ci-devant ministre de l’intérieur ne se souvient plus de rien ; il a oublié toutes les manifestations de la société civile auxquelles il a participé lui-même au cours des quinze (15) dernières années. Certains ne pourront jamais se présenter à une élection, affirme-t-il, oubliant que la constitution leur en donne le droit. Ce droit, il est loisible à tout le monde d’en user ou pas; et contrairement à ce que pense Bazoum, le fait de ne pas en user n’enlève pas aux citoyens le droit de manifester.

Que dire de ce petit morceau du discours de Bazoum Mohamed où il parle à son public de l’association Alternative Espaces Citoyens dont le siège sert de lieu de rassemblement aux proches des putschistes qui ont écopé entre 5 et 15 ans de prison ? Vraiment triste, il s’imaginait qu’Alternative fermerait ses portes à des pauvres femmes et enfants, des proches de personnes arrêtées, qui cherchent un lieu où se retrouver et exprimer un cri de cœur sur le sort de leurs maris, pères, frères. C’est la vocation de notre association d’être aux côtés des plus faibles ; et si cela peut rassurer Bazoum, nous disons qu’il sera lui aussi la bienvenue au siège d’Alternative le jour où il sentira le besoin. Comme par le passé, nous l’accueillerons et lui dresserons une tribune pour s’exprimer ; et ça, nous sommes sûrs que Bazoum sait que nous sommes capables de le faire. L’histoire politique récente du Niger a montré que la société civile est la fille sur laquelle tous les politiciens parvenus ont craché un jour et devant laquelle chacun est venu un autre jour se mettre à genoux.

Moussa Tchangari

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