Monsieur,
Permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter la bienvenue à Agadez, la plus grande ville du nord Niger.
Je sais d’ores et déjà qu’en foulant, pour la première fois, le tarmac de son aéroport, vous avez aimé cet accueil chaleureux digne de votre rang. Oui, et même que vous avez siroté sans appréhension aucune le thé à la menthe qui vous a été offert en guise de bienvenue. Sûr aussi que vous avez serré plusieurs mains, celles de nos autorités d’abord et peut-être ensuite celles de beaucoup d’anonymes, ces habitants d’Agadez, venus spécialement à l’aéroport pour chanter et danser pour vous sous les percussions de tambours et de you-yous de femmes. Tout un carnaval à votre honneur.
Du coup, Monsieur le ministre, vous avez sûrement ressenti une immense joie naître en vous devant tant de sollicitude. Tant d’amour. Eh bien, sachez que vous vivez en cet instant-là l’hospitalité légendaire de la terre d’Agadez. Celle qu’elle offre à tous ses visiteurs. Cet accueil qu’elle vous a réservé, elle le fait depuis le 11ème siècle aux vagues entières de nos semblables qui passaient et repassaient à leur guise.
Oui, Monsieur le Ministre, depuis la nuit des temps, des hommes, des femmes et des enfants ont passé par Agadez. Si beaucoup parmi eux fuyaient les affres de la guerre à la recherche d’un mieux-être ailleurs ; d’autres par contre passaient allégrement avec leurs produits à la recherche de nouveaux débouchés. A ces deux groupes, s’ajoutera bien plus tard la vague des explorateurs avides d’exotisme sous des horizons nouveaux.
Sachez le Monsieur le ministre, cette ville d’Agadez a bâti sa renommée en devenant un symbole dans le nu du grand Ténéré ; une boussole pour tous les marchands et voyageurs alanguis reliant l’Egypte et la Lybie à la zone du lac Tchad. Ils s’arrêtaient ici pour reprendre des forces avant de continuer leur long périple. C’était ainsi il y a des siècles, il en est ainsi aujourd’hui et il en sera ainsi jusqu’au crépuscule des temps. Si au fil des siècles passés, ces déplacements de populations ne suscitaient aucune inquiétude, le développement exponentiel de l’économie algérienne et libyenne à une date récente, du fait du pétrole, a permis à beaucoup d’africains de s’installer dans ces pays en passant par Agadez.
Voilà pourquoi, Monsieur Collomb, la cité de l’Aïr se trouvant à l’intersection des routes migratoires du Nord et du Sud, ne peut qu’être au centre des débats de l’heure relatifs aux problématiques migratoires. Un thème qui constitue le motif réel de votre venue.
Monsieur le Ministre,
Vous êtes aujourd’hui à Agadez pour endiguer l’immigration irrégulière. En un mot pour protéger les côtes des pays européens c’est-à-dire vos pays, de l’afflux des migrants ouest-africains. C’est votre droit le plus légitime. C’est même pourquoi hier à Niamey, vous avez acté avec vos collègues, dans une déclaration en huit (8) points la nécessité d’améliorer la concertation en amont de la traversée pour démanteler les filières des passeurs.
Au cours de votre rencontre vous avez même plaidé pour des mécanismes à l’image de ce que le Niger a fait dans sa lutte contre la migration dite irrégulière. Les chiffres, disiez-vous sont là pour le démontrer. « Ils ont passé de 330.000 en 2016 à 70.000 en 2017 ».
M. Collomb, ce chiffre record vous enchante sans nul doute, moi non ! Et pour cause ! L’habitant d’Agadez que je suis vous donne le prix que sa région et l’Afrique ont payé pour arriver à ce score :
-Savez-vous que des jeunes africains, bourrés de diplômes et de talent sont morts et continuent de mourir dans le désert du fait de l’obsession de l’Europe de réduire leur droit à la mobilité ? Permettez de vous montrer cette image récente pour vous le confirmer.
– Savez-vous que tous les efforts que vous déployez pour endiguer cette migration au Niger, portent un rude coup à l’économie de la population qui vous accueille aujourd’hui ?
– Savez-vous qu’une analyse statistique a fait ressortir qu’avant l’application de la loi 2015-036, le transport transsaharien faisait rentrer une importante somme de près de 65 693 054 250 FCFA par an rien que pour la commune d’Agadez ?
– Savez-vous que 6700 personnes environ vivaient directement ou indirectement de cette activité que vous voulez vaille que vaille arrêter ?
– Saviez-vous que depuis l’entrée en vigueur de la loi 2015-036 du 26 mai 2015, le transport entre Agadez et ses voisins est devenu une activité criminelle ?
– Savez-vous que depuis l’application de cette loi liberticide les transporteurs des migrants sur les différentes étapes avant Agadez mènent allègrement leur activité pendant que ceux des étapes après Agadez deviennent des criminels à arrêter et dont il faut confisquer le capital productif ?
– Savez-vous que la concentration des ressortissants ouest-africains et du Darfour dans la ville d’Agadez crée une inquiétante surpopulation qui atrophie les efforts de l’État du Niger à l’endroit de sa population ?
– Savez-vous qu’au rythme des refoulements de la Libye et de l’Algérie, la ville d’Agadez a tendance à devenir la « décharge » de l’Europe ?
– Savez-vous que le brassage de toutes ces communautés venant de divers horizons culturels et géographiques favorise la débauche et la dégradation de nos mœurs ?
– Savez-vous que la lutte contre la migration fait que la ville d’Agadez connait une recrudescence de l’insécurité résiduelle dans les centres urbains, périurbains et sur les axes routiers ?
Non, me diriez-vous sûrement ! La solution est en nous, n’est-ce pas ?
Alors Monsieur le ministre, lorsque tout à l’heure, vous serez devant ces jeunes, retournés volontaires ou refoulés, qui se trouvent au centre de l’OIM, regardez les en face et cherchez à parler avec quelques-uns d’entre eux ! Ne leur demandez pas qu’ils vous racontent le drame de leur traversée mais vous dire les motifs réels de leur départ. Écoutez-les avec le cœur. Oui, avec toute l’attention d’un père qui cherche à comprendre ses enfants.
Vous saurez alors M. Collomb, que ces jeunes fuient la misère qui étreigne tous ceux de leur génération. Qui fait que des pères se suicident pour avoir failli à leur mission d’assurer le minimum vital à leur progéniture. Qui fait que des mères cherchent leur pitance journalière en dérobant le butin des fourmilières….
Cette misère, Monsieur le ministre ! Vous pouvez bien la combattre. Oui, il vous suffira à vous, dirigeants du nord et du sud de mettre les mêmes moyens, la même hargne et la même ardeur utilisés contre la migration dite clandestine pour combattre la mal gouvernance dans tous les états pourvoyeurs de ces migrants. Ce faisant, vous aurez alors rendu un grand service à l’Europe, à l’Afrique et aux Africains.
En vous souhaitant un très bon séjour à Agadez, je vous prie d’accepter Monsieur le ministre l’expression de mon grand respect.
Ibrahim Manzo DIALLO
Photos : D.R
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