L école nigérienne, notre responsabilité d’enseignant, d’abord !

Il y a dans le répertoire de nos cultures africaines une expression par laquelle chacun se dédouane de sa responsabilité, surtout si celle-ci se traduit par un échec. Nous avons tendance à voir la faute ailleurs. C’est toujours la faute d’autrui si l’échec sonne à nos portes.

Jamais nous ne faisons notre propre introspection. Il y a péril là où il ne doit pas être : à l’école. Nous jouons avec le feu car tout le monde s’accorde à reconnaitre que le bel avenir, rêve de chacun d’entre nous, se trouve dans un système éducatif performant. Mais pourquoi notre école ne marche plus comme il se devrait ? Pourquoi les résultats ne sont toujours pas bons, comme en témoignent ceux de cette année ? Pourquoi l’élève nigérien, si performant il y avait quelques décennies, ne l’est plus aujourd’hui ? Quel genre d’enseignant sommes-nous devenus ?

Personnellement je n’ai pas la prétention de détenir les réponses à toutes ces interrogations. Mais une chose est certaine, il faut que les lignes bougent, d’abord au primaire, le ferment du devenir du futur citoyen. En termes clairs, quel genre d’élève nous envoyons au collège d’enseignement général ou tout autre école depuis la réforme du CFEPD et même avant ? Quelle est notre responsabilité, nous les acteurs de ce système éducatif ? Pourquoi nous peinons à perpétuer, ne serait-ce que par reconnaissance à nos illustres « vieux » enseignants qui nous ont formé avec tant d’adresse, d’amour et de désintéressement, cette flamme vive qu’est l’école publique à la postérité ? Pourquoi ce questionnement pour lequel personne ne veut s’assumer ?

A mon sens, il est trop facile de jeter l’anathème ou le discrédit sur nos dirigeants. Nous avons des exigences certes fondées, idéales comme la revalorisation de la fonction enseignante. A cette revendication, la réponse est clairement contenue dans le discours d’investiture du Chef de l’Etat y compris des orientations nouvelles très ambitieuses pour notre système éducatif. Cependant, ce n’est pas le Chef de l’Etat ou le Ministre ou le Secrétaire Général du Ministère de l’éducation Nationale ou directeur central qui vont se substituer à nous les enseignants pour bien faire la classe. C’est bel et bien à nous qu’incombe cette mission, d’abord.

Que faisons-nous dans nos classes en tant qu’enseignants ? Que font les encadreurs pédagogiques pour accompagner les enseignants ? Même sur ces aspects d’ordre pédagogique, les acteurs de l’école nous disent encore et encore, à tort ou à raison, pour des initiatives osées, que cela n’est qu’une réforme de plus, faute d’une meilleure communication, peut-être.

Selon moi, pour redorer le blason de notre système éducatif, il faut d’abord avoir un programme et des instructions officielles claires et faciles dans la mise en œuvre grâce à l’adhésion de l’enseignant, du parent, bref, de tout acteur du système éducatif, avec les moyens de son financement. Tout système éducatif tributaire de l’apport extérieur pour son financement sera certainement voué à l’échec. Aucune institution internationale, aucune organisation non gouvernementale ne doit nous imposer son diktat ou un modèle d’apprentissage. Toutes leurs actions devraient s’adosser à notre politique éducative. Nous devons avoir le courage de repousser ces poisons qui nous maintiennent dans l’ornière à défaut de les accommoder à notre
«sauce».

Il faut également des manuels qui vont permettre à l’acteur de la classe de déployer ce programme. Car, il est presque légitime de se poser la question sur la capacité de nous autres enseignants, aujourd’hui, à utiliser les anciens manuels comme Tranchart ou la Famille Boda, comme le réclament bien d’acteurs, dont la préparation nécessite du maître un assez bon niveau.

Je ne doute pas de la capacité de nos enseignants. Je trouve normal que nos autorités s’efforcent à avoir des programmes et des manuels propres. Mais là aussi, si nous accusons que ces manuels sont mal faits, ce n’est sûrement pas la faute du décideur politique, mais bien la nôtre qui sommes arrivés à être si incompétents pour produire des manuels dignes de ce nom.
Je crains fort que la pierre que nous lançons nous revienne en pleine face !

Ensuite, il faut revoir le mode d’évaluation au niveau du primaire. En effet, l’actuel a montré ses limites dès sa naissance même. Il est bien entendu certain que dans des pays dits développés c’est un tel type d’évaluation qui est pratiqué. Mais dans ces pays (la France par exemple), le degré de professionnalisme, la vocation des enseignants ne sont pas les mêmes que dans notre pays. Imaginez que nos collègues français ne préparent plus leurs leçons comme nous, nous le faisons actuellement. Chaque enseignant est responsable de sa classe. Et, il l’assume parfaitement bien.
Pourrons-nous les imiter une seule fois ? Je crains fort que si nous tentons cette aventure, le désarroi s’installerait dans nos classes car même obligatoire la préparation, c’est à peine que nous survolons nos manuels pour en avoir une compréhension aussi floue que nos cours deviennent aussi sombres que l’échec est certain chez nos élèves.

Et c’est de cette façon que les enfants iront au collège sans aucune base, évalués aussi imparfaitement qu’ils ont l’entièreté des points soit presque dix points sur les dix alors qu’ils ont toute la peine à déchiffrer même leur nom à fortiori lire, écrire ou suivre sous la dictée d’un professeur les leçons héritées de grand-père ou copiées çà et là d’un manuel inadapté ou qu’il ne connait même pas lui-même.

Et c’est, permettez-moi l’expression, du bétail à peine bon pour l’abattoir qui se retrouve dans nos rues, sans repère, après quatre années d’errance au collège, pour les plus chanceux, sinon dès la sixième. C’est ainsi que, encore nous, acteurs de la classe, avec certains de nos chercheurs, conseillons à nos dirigeants de supprimer des évaluations comme la dictée car, le prétexte est tout trouvé : tout le monde a automatiquement zéro.

Mais, nous leur cachons de façon pédante, maladroite, que si les élèves ont tous zéro, nous avions mal conduit nos leçons de grammaire, d’orthographe d’usage et grammaticale, de vocabulaire usuel ou théorique, de lecture sans être exhaustif ; la dictée, quelle que soit sa forme, est une évaluation de ces disciplines.

Si la dictée est supprimée, alors, ayons le courage de demander à nos autorités de supprimer l’enseignement de toutes ces disciplines qui concourent à donner à l’enfant les instruments d’écrire mais bien écrire et parler la langue française, même si c’est la langue du colon. C’est notre langue officielle selon la loi fondamentale.

Au demeurant, même l’enseignement par nos langues nationales ne peut se défaire de cette dictée. D’où la revalorisation de la réforme curriculaire en cours et la relance de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle que nous avions léguée aux ONG ou autres projets qui n’en font qu’à leur guise.
Bien entendu, au primaire cet exercice continue, malgré tout.

Mais dans nos collèges, il est remplacé par un semblant consistant à identifier des fautes dans un texte sous nos yeux ou autre subterfuge. Nous commettons tous allègrement des fautes sans que nos consciences nous interpellent.

A dire que ce sont ces produits qui feront de la conception pour le Niger de demain ! Quel gâchis. Oui. Car malgré le chapelet d’échecs, tout le monde est prêt à répéter la même chose chaque année, oubliant les mêmes échecs de l’an dernier. Comment donc, de cette façon, construire ou reconstruire une école publique en perpétuelle ’’déconstruction’’ ?

Alors que dès le primaire, à une certaine époque qui ne reviendra certainement pas, nous aimions bien réciter certaines règles, les appliquer, égrener les conjonctions ou des pronoms ou des règles et leurs exceptions, évitions des tournures incorrectes mais ayant fait bon ménage avec la pratique de la langue, de nos jours, et que sais-je encore. Même les punitions de l’élève sont basées sur l’imposition à lui faite par et sous la surveillance de son maître, à recopier un certain nombre de fois des règles ou recopier correctement des phrases entières.

Il est certes difficile de recréer hier, mais il est possible de penser un lendemain meilleur, d’oser y croire et non éviter l’adversité car c’est dans la gésine que nous avions été enfantés.
Pour autant nos mères n’ont pas encore trouvé le moyen de se soustraire à cette douleur. Mieux, elles en sont fières.

En définitive, faisons notre devoir. Ne pensons pas que c’est une corvée. Le cas contraire, autant jeter l’éponge. Après quoi, l’Etat s’assumera, certainement sans que nous lui criions « nous exigeons ». Cela lui incombe d’autant plus qu’il répondra, à travers ses dirigeants, devant Dieu et le Peuple.

Soyons en sûrs que nos dirigeants en mesurent chaque jour le poids de cette responsabilité. Et, si nous acceptons nous-mêmes ce mea-culpa, j’ose croire que nous serons capables de jeter les bases d’un système éducatif nouveau, performant et au sein duquel chacun de nous s’assumera pour faire renaître l’école publique, cette même école publique qui a formé l’élite d’aujourd’hui.

Ainsi nous serons en mesure de lever la tête devant la nouvelle génération que nous chargeons à volonté, avant qu’il ne soit trop tard. Car, l’échec, c’est bien nous. Pas eux. Comme soutenu par beau monde parmi nous. Si bien de pays africains ont réussi, pourquoi pas nous ?

Alors, osons !

Arhali BOUBAKIR

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Photo : D.R

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