Pendant trois jours, la citadelle du désert vibre pour la fin du ramadan, tentant d’oublier l’insécurité et les trafics en tout genre.
Anachronisme ou concordance des temps ? Vendredi 21 avril, une patrouille à cheval de gardes du sultan, sortie d’une autre époque, a côtoyé des motos vrombissantes chargées de passagers, à Agadez. Pendant trois jours, la citadelle du désert, dans le nord du Niger, a fêté l’Aïd-el-Fitr, marquant la fin du ramadan. « Après trente jours, on peut s’amuser, on peut sortir. L’Aïd, c’est l’insouciance retrouvée », souligne Ibrahim Mohamed, 21 ans, étudiant en terminale, turban sur la tête.
Une fois la prière de 9 heures passée, des dizaines de jeunes hommes se sont massées devant la grande mosquée en banco de la vieille ville, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Chacun prend la pose, « pour Facebook et TikTok », précise-t-on. Des cigarettes s’échangent. Ampi Naganka, la star du rap local, monte sur un mur pour partager avec la foule son nouveau tube. Pour beaucoup, la fête religieuse cède le pas à la fête tout court.
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Ousmane Bianou, lui, est rentré immédiatement après la prière, préparer les visites familiales et le thé. « Le premier qu’on boira en journée depuis vingt-neuf jours », sourit l’Agadézien, en se faufilant au cœur de la vieille cité. A 34 ans, il ne fait pas partie de la génération TikTok : alors que tous les guides ont quitté le métier il y a des années, lui organise des excursions dans la ville historique pour les rares étrangers de passage et une petite classe de Nigériens aisés.
C’est là, dans ce carrefour saharien, que s’est établi le sultan de l’Aïr au XVe siècle. Son descendant, 52e du nom, règne toujours. Il est celui qu’on va voir pour régler un différend foncier ou réclamer un dû. A 16 heures, quand la température est enfin descendue sous les 35 degrés, c’est de son palais que s’échappe la complainte de l’algaïta, longue flûte traditionnelle, qui appelle la foule à se rassembler pour les courses de chevaux.
« Il n’y a rien, rien ici. L’Etat ne nous aide pas »
Dans la douceur de l’Aïd, Agadez semble avoir trouvé un équilibre entre modernité et tradition. Mais la ville n’a pas été épargnée par les crises qui rongent le Sahel depuis une trentaine d’années. L’économie de rente façonnée par le tourisme s’est tarie quand les anciens guides ont pris les armes contre le pouvoir à Niamey, entre 1991 et 1995 puis entre 2007 et 2009. Chaque rébellion s’est éteinte après un accord de paix. Puis l’explosion du régime libyen en 2011 a déversé un lot d’armes supplémentaires, suscitant une nouvelle vague d’insécurité dans la région. Le Sahara nigérien a confirmé sa place pivot dans les trafics, de drogue et d’armes, sur la route entre la Libye et le Mali.
La migration vers l’Europe est venue s’ajouter à ces bouleversements, faisant d’Agadez un point de transit des migrants ralliant la Libye. Enfin, de l’or a été découvert en 2014 dans les environs, attirant des dizaines de milliers d’enfiévrés. Le banditisme a prospéré, comme les trafics. « Entre 2012 et 2021, Agadez a doublé de taille. Les autochtones ne représentent plus qu’un tiers de la population de la ville, les deux tiers restant étant des gens venus d’ailleurs au Niger ou de l’étranger », affirme le maire Abdourahamane Touraoua. Un sentiment de perte de repères partagé par une vieille génération qui ne reconnaît plus sa ville.
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Et les jeunes, s’y retrouvent-il ? Fils d’un ancien employé de l’entreprise d’exploitation d’uranium Cominak, filiale du groupe français Orano, Souleymane Mohamed n’en finit pas de pester : « Il n’y a rien, rien, rien ici. L’Etat ne nous aide pas. Moi j’ai un diplôme, mais il n’y a pas de boulot ici. Qu’est-ce qu’on peut faire franchement ? » Lui a tenté la route de l’or qui fait rêver les jeunes Sahariens. Ça n’a pas marché. Pour la fête, il a rejoint des amis pour zoner dans les rues poussiéreuses et faire la fada, une grande causerie assis autour d’un thé.
« I Love Agadez »
« Il y a un manque crucial d’emplois qui gangrène les jeunes diplômés d’Agadez, confirme Abdouramane Koutata, président du Conseil régional de la jeunesse, tout en soulignant que certains emplois sont boudés par les locaux. Comment se fait-il que tous les métiers de boutiquiers, de taxis-motos, de vendeurs ambulants soient occupés par des Nigériens qui ne sont pas d’Agadez ? » « Ils vous diront, répond Amoumoune Attaher, à la tête de l’Alliance française, que ce ne sont pas des emplois dignes dans leur culture. Ils sont nomades. Mais cette même culture les autorise-t-elle à voler des gens dans le désert ? »
Au fonds, l’Aïd est, pour beaucoup, une parenthèse. Plusieurs dizaines de jeunes se sont donné rendez-vous ce week-end sur le nouveau tronçon de la « RTA » à la sortie d’Agadez, la voie la mieux goudronnée de la ville, dotée de lampadaires flambant neufs. Il n’y a autour que du sable et de la poussière, mais des dizaines de motos et pick-up surmontés d’autant de chèches sont garées. Ahmed et Fatima, jeune couple sur son trente-et-un, y prennent des selfies assis sur leur moto. Plus loin, la bande de Sidi Ahmed fume cigarette sur cigarette en écoutant un son grésillant de Kader Tarhanine, la jeune star algérienne de la musique touareg, et en regardant ceux qui font crisser les pneus de leur moto.
Plus tard dans la soirée, beaucoup rejoindront Sahara Land, le nouvel endroit cool de la cité saharienne, un espace en plein air, mi-bar sans alcool mi-espace de jeux. Des enfants sautent sur un trampoline tandis que leurs parents avalent un burger. Il n’y avait rien de tel à Agadez auparavant. Aziz, son gérant, est débordé par l’affluence. Il a ouvert juste avant le ramadan et l’énorme structure « I Love Agadez » montée de LED, plantée au milieu du passage qu’elle éclaire de rouge et de violet, attire dans la nuit toutes les jeunes filles pomponnées. Gaisha, une Libyenne, est sur son iPhone et cherche son amie sur AirDrop. Il semble que la moitié de Sahara Land est connectée : il est temps de fleurir les réseaux de photos. En attendant la prochaine occasion de se faire beau.
Amaury Hauchard
Le Monde
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