Grâce aux tricycles de l’association Alarme Phone Sahara, l’ancien enseignant vient en aide aux migrants refoulés par les autorités algériennes de l’autre côté de la frontière avec le Niger.
Une carrière de trente ans dans l’éducation, une petite maison familiale dans un quartier périphérique de la ville nigérienne d’Agadez, une Toyota Corolla poussiéreuse qu’il traîne depuis onze ans… La vie d’Azizou Chehou n’a, à première vue, rien d’extraordinaire. Pourtant, l’homme de 56 ans qui vient en aide aux naufragés du désert sauve, chaque année, presque autant de vie qu’un médecin.
Semaine après semaine, ils sont des centaines à errer ainsi dans les sables, refoulés par les autorités algériennes de l’autre côté de la frontière avec le Niger. Des hommes originaires d’Afrique de l’Ouest, jetés des bennes des camions où ils ont été entassés, qui n’ont d’autre choix que de marcher jusqu’au village d’Assamaka, traversant quinze kilomètres de désert. C’est ce tronçon que sillonnent les tricycles de l’association Alarme Phone Sahara (APS) d’Azizou Chehou.
Avec leurs véhicules, ils viennent en aide à ceux qui ne peuvent plus marcher, les emmènent jusqu’au village où un centre de transit de l’ONU doit les accueillir. Dans ce bout de désert, il y a beaucoup d’ennemis des migrants : bandits côté nigérien, patrouilles militaires côté algérien.
Ces dernières semaines, les expulsions par l’Algérie n’ont jamais été aussi nombreuses : tandis qu’environ 20 000 personnes avaient été refoulées sur l’ensemble de l’année 2022, APS en a déjà recensé près de 15 000 jetées dans le Sahara durant les quatre premiers mois de 2023.
Bilma, au milieu du désert
Parfois, quand les gilets jaunes d’APS les trouvent, les migrants sont déjà morts. « C’est une honte ce qui se passe là-bas, souligne Azizou Chehou. En Méditerranée au moins, la mer rejette les corps, alors que le Sahara les avale. On ne pourra jamais savoir combien de personnes sont mortes ici dans l’indifférence. »
Né dans un petit village kanouri de la région de Zinder, dans le sud du Niger, rien ne prédestinait ce fils d’agriculteur toujours apprêté à atterrir au Sahara. Elève studieux, il part étudier à la fac de Niamey à une époque, la fin des années 1980, où les turbulences politiques germent dans les universités ouest-africaines.
C’est le temps des conférences nationales et des jeunesses qui réclament la démocratie et le multipartisme après des années de régime autoritaire. Au sein de l’Union des scolaires nigériens (USN), centrale syndicale étudiante, le jeune Azizou s’occupe de surveiller les forces de l’ordre qui viennent sur le campus universitaire.
Mais il paie vite son engagement syndical : au moment d’être nommé enseignant à la fin de sa licence, alors qu’il se rêvait dans un établissement de la capitale, on l’envoie à… Bilma, au milieu du désert, non loin de la Libye. Il faut imaginer le bled : quelques centaines d’habitants, un voyage de sept jours sur le toit d’un camion de la coopérative locale de dattes pour rallier la capitale régionale Agadez et, parfois, un avion militaire qui atterrit dans le sable pour les rotations militaires. Il règne un air du Désert des Tartares dans ce petit village où une garnison monte la garde contre d’éventuelles incursions libyennes ou tchadiennes.
« Un carrefour de migrations »
Le jeune boute-en-train y part à reculons, avec ses 150 cassettes (il est disque-jockey à ses heures perdues), ses deux valises et son fourneau portatif pour faire le thé. Mais sur place, c’est une découverte. « On y prend goût rapidement. J’ai pris en main la buvette du coin : on avait les bières avec les militaires et le reste on le faisait venir de Libye », raconte-t-il. Il y reste deux ans, tisse des amitiés, revient à Agadez pour une prochaine nomination. Le jeune enseignant en bras de chemise, célibataire et rigolard, fait chavirer les filles.
Trente ans passent au gré des affectations. Il a bientôt quatre enfants et une maison à Agadez. Azizou est de cette classe moyenne qui ne cherche pas la lumière des nantis mais trace sa route. Fin 2015, il rencontre le journaliste Ibrahim Manzo Diallo au gré d’une visite d’élèves dans ses locaux d’Aïr Info, le principal média du nord du Niger. L’hyperactif Azizou commence à écrire pour lui. « Il a une passion certaine pour l’écriture, et un talent pour entreprendre », décrit « Manzo », qui le nomme vite rédacteur en chef de son journal.
Dans les pages du seul journal papier du nord du Niger, il écrit sur tout, mais la migration revient page après page : ici, elle a toujours été un business florissant. « Etre à un carrefour de migrations a amené à une époque beaucoup de travail ici. Opérer dans ce trafic a été criminalisé [en 2015]. Tout a changé », souligne-t-il.
Alors quand M. Diallo lâche les rênes en 2018 de la petite association APS qu’il avait lancé avec des soutiens associatifs allemands, c’est une évidence : Azizou Chehou doit reprendre le flambeau. Lui hésite : il prépare sa thèse et doit déjà gérer son autre association d’aide aux jeunes désœuvrés de son quartier.
Quelques mois plus tard, la thèse est bouclée et la crise migratoire s’accentue sur la frontière algérienne. Les tricycles d’APS n’arrêtent pas de circuler dans le sable et le téléphone du coordinateur Chehou sonne en permanence. Quant au village d’Assamaka, il devient ce déversoir où s’agglutinent des milliers de migrants dans l’attente d’être pris en charge par l’ONU et des ONG internationales.
Amaury Hauchard
Le Monde
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