Société : « Ma natte, ma dignité »

Abalak ! Un département situé à plus de 750 km au nord-ouest de Niamey ressemble à tous les villages de cette zone. La seule différence ici, c’est que les hommes que nous découvrons, sont plus présents dans les rues. Ils vaquent à leurs occupations sans se soucier du temps qui passe. Les femmes, on en voit que très rarement. Comme pour nous rappeler qu’elles existent vraiment, une, deux, trois puis quatre femmes traversent furtivement la route, regardant apeurées dans tous les sens. Elles se précipitent pour se soustraire à notre regard. Regard de mâle ! Regard de feu !

Dans leur fuite, on entend les  frous frous de leur accoutrement qui découvre un surprenant mode de vie. Elles sont vêtues de natte, ou plutôt drapées de natte en plastique. Qu’est-ce qui explique ce comportement ? A quel maître ou précepte obéit une telle pratique ? Qu’en pensent les femmes victimes ? Enquête sur une pratique singulière qui a cours au nord Niger et qui résiste à l’usure du temps. Elles fuient dès qu’elles aperçoivent un homme. Tête baissée, telles des coupables, elles foncent en risquant souvent de s’empêtrer dans leur « habitat mobile ». « Ici, c’est comme ça que doivent se comporter les femmes ! Il en était ainsi depuis la nuit des temps, il en sera ainsi toute notre existence », nous expliquait un peu plus tard Hamed Bilal, un érudit d’Abalak. « Chaque société a ses marques ! Le port de la natte autour de la taille éloigne de la femme les yeux du mâle, les yeux de Sheitan ! », dit-il. 

Une valeur religieuse et culturelle

Le port de la natte est né vers 1830 avec un grand marabout appelé Ahmed Al Jilani. Il avait recommandé aux femmes de se draper de nattes pour protéger leur corps de la tentation. Les nattes étaient faites de feuilles de palmiers doum. Anousloum Ismaghil,  imam d’une mosquée à Tahoua justifie cette pratique qui trouve tout son sens en islam: « Allez-y à la sourate al-Ahzâb, Dieu ne disait-il pas ceci : « O Prophète, dis à tes épouses, à tes filles et aux épouses des croyants qu’elles ramènent sur elles leur hijab ! ». « Notre religion nous interdit de lever le regard sur une femme qui n’est pas la nôtre ! »  Et : « on ne peut désirer que ce que  l’œil voit, voilà pourquoi l’islam conseille aux femmes de se mouvoir couvertes totalement, la religion nous défend de la perversion et nous instruit de ne pas exposer les parties de notre corps à la vue d’autrui. Dieu maudit les hommes qui apprécient les femmes d’autrui ou flattent celles qui ne sont les leurs ! », confirma, le marabout. Abondant dans le même sens, Ahmedou, chauffeur de bus trouve la justification de cette coutume en la comparant au port du turban qui joue aussi un rôle régulateur dans la société touarègue car lors de la cérémonie officielle de son port, il est dit au jeune récipiendaire ceci : « Ce turban n’est pas n’importe quel ruban ! Il voilera tes yeux devant ce qui t’est défendu et étouffera les mauvaises paroles que la  langue te fera dire ».

Une question qui divise

Moussa Ag Elikou, juriste de formation basé à Agadez pense que : « C’est horrible ce qui se passe dans cette région ! Sur le plan juridique, c’est la perte du statut de la femme. C’est son droit souverain qui est piétiné. Une jeune fille qui n’est pas mariée, il faut qu’elle montre sa beauté même si cela doit se faire dans le respect de sa tradition. Chez les Touaregs pour qu’une fille soit désirée, il faut qu’elle montre ses attributs physiques, sa démarche, son maquillage. C’est inné à la femme touarègue. Le port de la natte, à mon humble avis, restreint la liberté des femmes ». Pour Mohamed Daoud, douanier en poste à Madaoua originaire de la zone d’Abalak et fervent défenseur de cette pratique : «  Il n y a pas au monde une région où les femmes sont choyées comme à Abalak et à Tchintabaraden. Les hommes pilent le mil et puisent de l’eau pour leurs femmes. Je m’insurge contre ceux qui pensent que le port de la natte constitue une violence ou une restriction de la liberté de la femme. Au contraire, c’est pour la protéger. Pourquoi en faire un drame ? ». Et d’enchaîner :  « Cette coutume se justifie pleinement car elle contribue à éviter l’effondrement moral de notre société. C’est une façon de protéger les femmes du regard des hommes ! En se drapant avec sa natte, la fille cache ses attributs de femme aux yeux envieux des hommes. Moi, je peux ne pas porter le turban quand je suis ailleurs. Mais à Abalak, je le porte en permanence ».

 La jeune génération s’indigne

Cette pratique continue encore de nos jours. Les jeunes filles s’y conforment, non sans une certaine prise de conscience. Rahmata, aujourd’hui étudiante dans un institut à Niamey s’indigne d’abord de la méconnaissance du port de la natte avant d’exprimer le supplice que cela fait endurer : «  Je suis surprise que c’est maintenant que vous en parliez ! Et pourtant, à Abalak, où j’ai vécu toute mon adolescence, je n’oserai jamais sortir sans ma natte.  J’ai eu beaucoup de difficultés en arrivant ici ! », dit-elle. « Quand je marchais dans la rue, je me sentais toute nue sans ma natte. Il m’a fallu des gros efforts pour y parvenir », continua t-elle avec une certaine amertume.  Avec le recul, elle se dit qu’il n y a pas un supplice plus mordant que le port de natte.

« J’ai sacrifié mes belles années d’adolescence à cette croyance qui est dure comme fer dans la tête de nos parents », conclut-elle.

Ahmed, un jeune encadreur dans une auto-école de Niamey, met l’accent sur le caractère conservateur de leurs parents. Il affirme qu’on ne peut faire comprendre à ces parents qu’en obligeant leurs sœurs à se couvrir de nattes, ils attentent à leur liberté. «  Selon eux, explique t-il,  ils les protègent de l’enfer ! Et quiconque osera se rebeller sera maudit ! Je pense que le mieux est de laisser faire jusqu’à ce que les années enterrent cette pratique qui est intimement liée à leur perception de l’islam ».

Près de deux siècles après la naissance de cette pratique, le port de la natte a cours, de nos jours encore, à Tchintabaraden et Abalak. Mais, jusqu’à quand, en cette ère de globalisation? L’histoire nous le dira.

Enquête réalisée par Ibrahim Manzo Diallo & Cissé Oumarou

Image : Illustration

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