Les pays du Sahel font office de nouveaux murs de l’UE avec plus de contrôles frontaliers, augmentation des déportations et utilisation des fonds de coopération pour freiner les fluxes. L’externalisation de services européens vers des pays comme le Niger, le Mali et le Burkina Faso entraîne le détournement d’itinéraires, accroît la dangerosité de la route, le trafic informel et viole les droits de l’homme.
« On a récemment demandé à un ministre européen pourquoi il s’était rendu au Niger et il a répondu en assurant que « le Niger est notre voisin », symboliquement parlant ». C’est donc clair ». De cette manière voilée mais suggestive, le chef de mission de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), Martin Wyss, admet l’externalisation des frontières européennes au Sahel. L’ambassadrice communautaire dans le pays, Denise-Elena Ionete, rejette le concept, mais reconnaît l’importance croissante du Niger dans la question migratoire.
Le Niger est le gendarme de la migration irrégulière vers l’Europe et assume depuis 2015 les politiques européennes de confinement. C’est le produit de l’obsession de l’UE à freiner les flux d’entrée sur son territoire, malgré le fait que les mobilités à l’intérieur de l’Afrique sont supérieures – 70% – à celles dirigées vers le vieux continent, d’après l’ONU. La préservation des intérêts économiques dans la région, l’expansion du commerce de sécurité et « le refus atavique de l’Europe de former des sociétés mixtes », selon les termes de l’intellectuelle malienne Aminata Traoré, font avancer la stratégie de restriction de l’UE dans ce domaine. Il s’agit d’un mécanisme de contrôle fondé sur le renforcement des frontières, l’encouragement des déportations et des expulsions et l’utilisation des fonds de coopération pour prévenir l’afflux de personnes.
Expulsions arbitraires et massives
Alex salue l’un de ses compatriotes camerounais alors qu’il arrive au centre de transit de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) à Agadez. Il fait partie des plus de 40.000 personnes expulsées par l’Algérie vers la frontière nigérienne depuis 2014. Dans son cas, il se rendait au travail dans une carrière à Alger lorsque la police l’a arrêté soudainement et sans prévenir. Ils ont réquisitionné tout ce qu’il portait, y compris son téléphone portable, et l’ont emmené à bord d’un autobus vers une destination inconnue. Après plusieurs jours de mauvais traitements physiques et d’humiliations, les forces de sécurité l’ont abandonné au milieu du désert du Sahara, avec des dizaines de citoyens subsahariens. De là, ils ont marché une quinzaine de kilomètres jusqu’au sol nigérien, où l’OIM les attendait. Dans son cas, il n’a jamais voulu atteindre l’Europe. Il était marié avec une femme algérienne depuis 8 ans et était à l’aise et bien installé dans le pays, malgré le racisme quotidien auquel il faisait face. « Ma femme m’attendait à la maison, mais à jour d’aujourd’hui elle ne sait pas où je suis. J’ai insisté pour lui parler, mais ils ne m’ont pas laissé le faire. Elle est enceinte de deux mois et je veux juste lui dire que je suis vivant », dit-lui le cœur brisé.
OIM en question
Comme lui, beaucoup d’autres ont été expulsés vers le Niger dans le cadre de l’accord de réadmission signé par Alger et Niamey en 2014 qui, si bien ne concerne que les citoyens nigériens, dans la pratique il est appliqué à toutes les personnes subsahariennes. Pour des organisations sociales comme Alternative Espaces Citoyens, l’expulsion est une violation flagrante du droit international et des droits humains fondamentaux, puisqu’il s’agit de déportations massives et forcées, non communiquées à l’avance et, en outre, dans des conditions précaires et inhumaines. L’OIM aide les victimes du côté nigérien de la frontière et les invite à participer à son programme de « retour volontaire » qui, pour une grande partie de la société civile et des experts, est « cynique »quand il se produit après une expulsion forcée, selon le chercheur burkinabé Idrissa Zidnaba. L’organisme international préconise de ne travailler que dans des contextes « volontaires », mais évite de critiquer publiquement les actions de l’Algérie, car c’est « une question délicate entre deux pays souverains », d’après Martin Wyss. L’OIM, agence interétatique financée par des puissances internationales et liée à l’ONU, nie sa participation aux convois de déportation, mais assume le transport depuis la frontière vers les pays d’origine, par avion ou par autoroute.
Le Niger dispose de plusieurs centres de transit où il collabore avec le HCR pour identifier les demandeurs d’asile et/ou de réfugiés potentiels, en agissant selon la vision des hotspots proposée par le Président français, Emmanuel Macron, initialement rejetée par le gouvernement du Niger, mais finalement déployée. Les installations, qui évacuent et protègent les migrants, jouent un rôle clé dans les politiques de confinement et se développent dans tout le Sahel. Pour certains militants et experts, cette organisation remplit une double fonction, d’une part « caresse et de l’autre frappe », selon l’anthropologue et missionnaire Mauro Armanino. Pour le chercheur à l’Université de Bamako Bréma Dicko, « c’est l’exécuteur des politiques européennes », une sorte « d’agence de déportation » sous le parapluie de l’ONU.
Au Mali, par exemple, le rôle de l’agence est différent de celui du Niger, où tous les mécanismes de l’agence se sont installés sans difficultés majeures, donc l’importance de la diaspora malienne et de ses transferts de fonds ont empêché une mise en œuvre plus poussée. Cependant, les deux Etats sont les bénéficiaires majoritaires de l’aide officielle européenne du Fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique, le principal instrument pour tenter de « s’attaquer aux causes profondes de la migration », assure-t-il. La société civile dénonce la conditionnalité de leurs dons, le détournement de fonds de l’éradication de la pauvreté vers la sécurité, et l’inefficacité de la même aide due au syllogisme erroné entre migration et développement. En ce sens, il a été démontré que « le développement intensifie la mobilité » et non à l’inverse, explique Harouna Mounkaila, directeur du groupe de recherche sur les migrations de l’Université de Niamey.
Inefficacité, dangers et clandestinité
Au Niger, la loi 2015/036, approuvée par le gouvernement, a criminalisé la traite et le trafic d’êtres humains et a conduit à une « grande répression », en particulier pour la partie nord du pays, selon la responsable de l’agence chargée de sa mise en œuvre, Gogé Maimouna Gazibo. Selon les autorités locales, la persécution contre le soutien à la migration a démantelé des réseaux, emprisonné jusqu’à 200 personnes, confisqué des dizaines de véhicules et porté un dur coup à l’économie locale d’Agadez. L’UE avait promis des subventions pour fournir des alternatives aux responsables de l’activité migratoire, mais celles-ci ne sont pas encore arrivées, sont insuffisantes et inefficaces. « Ils nous demandent d’attendre, nous disant que le financement viendra, mais ils ne nous donnent que 1,5 million de FCFA pour démarrer une activité, alors que nous gagnions cela en une journée. C’est très peu », déclare Bachir, un ancien trafiquant participant au programme de reconversion de l’UE.
Le mécontentement à l’égard des promesses non tenues augmente et la patience s’épuise. « Le blocage brusque des échanges commerciaux sans prise en compte des besoins de notre population a conduit au déploiement d’itinéraires alternatifs qui maintiennent le trafic de manière plus informelle », selon le maire adjoint d’Agadez, Ahmed Koussa. Le trafic continue donc, mais d’une manière plus invisible. « La persécution de l’État pousse les gens à emprunter des routes plus compliquées, plus risquées et plus coûteuses », explique le responsable de Médecins Sans Frontières Francisco Otero. « Sur les routes secondaires qui n’ont pas de points d’eau il y a des bandits armés, et une petite panne peut être fatale », dit Ahmed, un ancien chauffeur de la route vers la Libye. Les routes bifurquent vers le Tchad et surtout vers le Mali, où l’on a observé récemment une augmentation notable de la population qui se déplace dans la ville de Gao, passant de 7.000 en 2017 à 100.000 en 2018, selon les données de la Maison du Migrant. Cela montre que la main de fer contre la migration au Niger « déplace le problème dans un autre pays sans le résoudre », selon Sadio Soukouna, chercheuse à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Il y a donc une augmentation exponentielle de la traite informelle et des risques, qu’il s’agisse d’agression, de braquage, de viol ou d’enlèvement par des groupes armés ou des bandits. « Ils sont poussés dans l’illégalité », assure Otero. « Ils interceptent leurs véhicules et leur disent qu’ils peuvent gagner de l’argent s’ils les suivent, et certains le font. D’autres, par contre, sont détournés contre leur gré et leur famille doit payer la rançon. L’année dernière, nous avons libéré 14 personnes », déclare le militant Eric Alain Kamden. La société civile considère également que le renforcement des frontières par des contrôles biométriques sophistiqués et la propagation des points de surveillance sur les routes violent le protocole de libre circulation de la CEDEAO, entravent la continuité des mobilités intrarégionales historiques et sont contraires au passeport continental unique sur lequel travaille l’Union africaine (UA). Au Burkina Faso, par exemple, Moussa Ouédraogo, responsable de l’ONG Grades, dénonce le fait que son pays est devenu une « pré-frontière, afin de bloquer la route au plus grand nombre de personnes possible » avant son arrivée au Niger, et affirme que l’extension des contrôles sous prétexte de lutter contre le terrorisme ne cache pas que l’objectif est « l’intimidation des migrants ».
Le gouvernement nigérien défend son respect de la liberté de circulation dans la région et assure qu’il n’exige que les personnes soient munies de documents de voyage. Il se félicite, avec l’UE, de la réduction des flux de passage par son pays, qui s’est réduit un 90% par rapport au 2016, et ignore faire référence à la plus grande clandestinité et le détournement des routes en raison de leurs stratégies. De plus, parmi les personnes expulsées, rapatriées ou évacuées des pays du Maghreb, certaines resteront dans leur pays, mais beaucoup d’autres reprendront le chemin, comme Ibrahim lui-même, du Sénégal, qui après avoir vécu en Libye et avoir été exilé en Algérie, confirme « Je veux toujours aller en Europe, car je ne voulais pas rentrer dans mon pays. Dès mon retour, je tenterai à nouveau la route marocaine, j’essaierai de sauter les clôtures : entrer ou mourir ».
Oriol Puig
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*Ce rapport fait partie du projet d’Alianza por la Solidaridad et Oriol Puig intitulé « Le Sahara, un désert en mouvement: au-delà de la Frontière Sud et de la mer Méditerranée », financé par la bourse DevReporter, promu par Lafede.cat-Organitzacions per a la Justicia Global avec des fonds européens.
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