Niger/Audit du Ministère de la Défense : une enquête exclusive de notre confrère Moussa Aksar révèle tout.
« La société Halltown Business LLP a été créée en zones franches à Londres. Elle est censée virer des retro-commissions d’un montant de 2.000.000 $ US de l’avenant au contrat signé le 7 juillet 2012 à Kiev, relativement à l’achat de deux avions de chasse SU-25 en date de 2012 ». C’est ce que révèle le rapport définitif de l’inspection des marchés publics du ministère nigérien de la Défense.
Étrangement, cette même société écran anglaise a été citée dans des documents de Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), un bureau du département du Trésor des États-Unis qui collecte et analyse les informations sur les transactions financières, afin de lutter contre le blanchiment de fonds national et international, le financement du terrorisme et d’autres crimes financiers. C’est la Deutsche Bank, au cours de ce même mois de juillet 2012, qui a signalé le caractère suspect du contrat d’achat d’armement avec le Niger lorsque qu’elle reçoit dans ses comptes bancaires de Lettonie un virement de 30.900 $ lié à un contrat de « textiles ».
Selon la version définitive exclusive de l’audit de l’Inspection Générale des Armées (24 pages) que le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) – un réseau indépendant de journalistes basé à Washington – et la Cellule Nobert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO) ont pu consulter, ce sont plus de 71,8 milliards de francs CFA (120 millions de dollars) qui ont été détournés entre 2017 et 2019 par des faussaires présumés sur une dépense totale de 185,9 milliards de francs CFA.
Cette enquête conjointement menée dans près de 90 pays vous plonge dans un labyrinthe de plusieurs contrats avec des sociétés fictives, de création frauduleuse des sociétés offshores, de fournitures de faux documents, de concurrence fictive et déloyale, de surfacturations, faux et usage de faux, fausses mises en concurrence et mises en concurrence fictives, manœuvres coercitives, usurpation de fonctions, trafic d’armes et autres livraisons d’armes défectueuses au cœur du Sahel, une région en proie à des attaques de Groupes Armés Terroristes (GAT).
Des sociétés fictives en zone franche
Halltown Business LLP a été créée en 2011 et dissoute en 2016, selon le registre du commerce à Londres. Dans l’achat des deux avions de chasse SU-25 par le Ministère Nigérien de la Défense, suite à l’avenant secret au contrat « ADDENUM TO THE CONTRACT N04-K COMMISION AGREEMENT » en date du 7 juillet 2012, cette société écran est censée virer des commissions d’un montant de l’ordre de 2.000.000 $. Ce qui constitue une manœuvre collusoire pour soustraire de l’argent à l’Etat, à en croire l’audit définitive.
Les deux « officiers » de cette coquille vide n’étaient que des sociétés aux Seychelles, qui empêchent de connaitre le vrai bénéficiaire de Halltown Business LLP. Une autre coquille vide, comme Aerodynes Technologies créée en 2016 par Aboubacar Hima Massi dit « PetitBoubé », a aussi grugé l’Etat nigérien à hauteur de 18,3 milliards de francs CFA. L’audit révèle également d’autres sociétés écrans à l’image d’A-NSE (AreoNautic Services Engineering) qui a frauduleusement encaissé la somme de 880 millions de francs CFA en 2017 et d’Est Ukraine le pactole de 2, 5 milliards de francs CFA au cours de la même année.
Selon les informations en notre possession, la création de ces sociétés fictives en zone franche serait l’œuvre de plusieurs acteurs clé du pouvoir à Niamey. Parmi ceux-ci, l’on cite notamment l’ancien ministre de la Défense Karidjo Mahamadou, qui serait passé par Abdourahaman Manzo, un militant du parti au pouvoir domicilié à Bruxelles ; le Directeur de Cabinet du président de la République Ouhoumoudou Mahamadou ; le Général Ibrahim Wally Karingama ; et Aboubacar Hima Massi dit « petit Boubé ».
Contacté par nos soins, Abdourahaman Manzo révèle que « l’armée nigérienne manque de matériel adéquat et que le budget de la Défense est utilisé pour enrichir les gens du système« . Il soutient « n’avoir jamais bénéficié » d’une quelconque « forme de favoritisme du système« . Sollicité par ICIJ, le Ministre Karidjo Mahamadou, répondant lui-même au téléphone dit : « Non, ce n’est pas Karidjo qui est au bout du fil. Je suis un de ses amis et je lui transmettrai les préoccupations de ICIJ ».
Quant à Ouhoumoudou Mahamadou, il a déclaré ne pas être en mesure de se prononcer sur ce dossier avant de nous raccrocher au nez. Pour sa part, le Général Karingama a prétexté « s’amuser avec ses enfants » pour ne pas répondre aux sollicitations de ICIJ. Nous avons également durant toute l’enquête, essayé de contacter au téléphone Aboubacar Hima Massi dit «petit Boubé» en appelant sur ses six (6) numéros, mais il n’a jamais daigné décroché nos appels.
Concurrences déloyales, surfacturations…
C’est suite à « une série d’auditions des tiers mis en cause dans le rapport », qui s’est déroulée dans les locaux de la Défense Nationale, que les 7 gros fournisseurs ont unanimement reconnu les griefs qui leur sont opposés relativement « au recours à la concurrence fictive et déloyale pour l’accès aux marchés publics, loin de reposer sur la règle de la complétion objective ». Il s’agit de BRID A DEFCON appartenant à Aboubacar Hima Massi, des Etablissements Aboubacar Charfo et Agacha Technologies d’Aboubacar Charfo, de Polytechnologies de Feu Zakou Djibo, d’Equipmat de Issa Baba Ahmed, de Yentcheng Gothye de Mamane Nagari, de MIM de Moutari Moussa et des Etablissements IBS d’Ibrahim Salao Idi dit « Idi Masta ».
A propos des surfacturations
S’agissant de la question des surfacturations, malgré une marge bénéficiaire qui leur a été concédée par les enquêteurs à hauteur de 30% du montant hors taxes, hors douanes du matériel, il ressort que les fournisseurs ont surfacturé l’Etat pour un montant se chiffrant à 48,3 milliards de francs CFA. Pour le remboursement de cette somme indue, les fournisseurs ont formulé des propositions et « ont souhaité la prise en compte d’un certain nombre de charges supplémentaires et aléatoires notamment bancaires, qui exigent un traitement au cas par cas ».
C’est ainsi qu’Aboubacar Hima dit petit Boubé s’est engagé à rembourser 4,9 milliards sur les 18,3 milliards de francs de surfacturation et a livré sur les 11,3 milliards de matériel non fourni, la somme de 8,3 milliards avec pour échéance le 28 avril 2020. Le reste du matériel non livré notamment le système anti missile de l’avion présidentiel pour 2,4 milliards de francs CFA et les paniers de lancement pour 125 millions de francs CFA feront aussi l’objet d’un paiement. Sur un montant de 14,5 milliards de francs CFA de surfacturation, Aboubacar Charfo s’est engagé à en payer 2,9 milliards et à fournir 3,7 milliards de pièces détachées non livrées. La société Polytechnologies de Feu Zakou Djibo s’engage à payer 423 millions de francs CFA. La société Equip-Mat Trading de Issa Baba Ahmed, quant à elle, a promis de payer un (1) milliard sur les 3,5 milliards de surfacturation et à remplacer les 1000 fusils de type AK47 défectueux.
Pour sa part, la société Yentcheng Gothye s’est engagée à rembourser à l’Etat la somme d’un (1) milliard de francs CFA sur les 1,5 milliard de francs CFA de surfacturation. Les Etablissements Moutari Issa Moussa (MIM) s’engagent à rembourser un (1) milliard sur les 3,6 milliards de francs CFA de surfacturation. Par ailleurs, elle a promis de livrer les deux camions grue manquant dans l’exécution du marché N°283/2018/MF/DGCMP/MF au plus tard le 13 juin 2020. Ibrahim Salao Idi, dit «Idi Masta», promoteur des Etablissements IBS, a pris l’engagement, par acte notarié, à verser à l’Etat 1,2 milliard de francs CFA sur les 2,3 milliards de surfacturation qu’on lui reproche. Parmi tous ces fournisseurs, seuls Moutari Issa Moussa et Ibrahim Salao ont daigné répondre aux sollicitations de ICIJ relativement à l’affaire….
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