Cominak, 47 ans après l’Uranium : enquête à l’orée d’un drame social et environnemental au Niger

Le mercredi 23 octobre 2019 est une journée inoubliable pour les mille trois cent neuf (1 309) travailleurs de la Compagnie Minière d’Akouta (Cominak). Cela, non pas à cause du dur labeur qui les attend à 250 mètres dans les profondeurs de la mine ou à l’usine, mais du fait de la nouvelle de ce jour qui marque un tournant important dans la vie socioéconomique du département d’Arlit. En effet, ce jour-là, à l’issue d’une réunion, le Conseil d’administration (CA) de la Cominak, à l’unanimité de ses membres, a voté la fermeture de la mine pour le 31 mars 2021 après 47 ans d’extraction de l’uranium dans le sous-sol riche de la commune d’Akokan.

Ce fut un choc aussi bien pour les travailleurs de la Cominak que pour la population d’Arlit, particulièrement celle d’Akokan. Cette fermeture, douteuse en elle-même, à cause des raisons avancées par le Conseil d’administration : épuisement de la mine, et chute des cours de l’uranium, sonne le glas des drames socioéconomique et environnemental qui ont cours à Arlit et à Akokan. Elle révèle des pratiques « malsaines » opérées plusieurs décennies durant en violation de la législation du travail en vigueur : fausses déclarations d’agents sous-traitants à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) avec la complicité d’agents de la caisse, détournements de cotisations de certains agents déclarés à la Cnss; et plusieurs centaines de millions de francs CFA sous forme d’évasion parafiscale. Comme si cela ne suffisait pas, les sous-traitants, refusent ou usent de stratagèmes pour ne pas verser les droits légaux de fin de contrat à leurs travailleurs.

 

Au plan environnemental, on note une pollution des nappes, un problème d’eau dans la ville d’Arlit et à Akokan, plus de 20 millions de tonnes de résidus radioactifs exposés à l’air libre, et 2 004 837 m3 d’eau d’exhaure (en 2019), le tout chapeauté par un projet de réaménagement du site (Rds) flouté.  Enquête sur la fermeture  d’une mine aux conséquences socioéconomiques et environnementales chaotique

L’abandon d’un gisement…

Épuisement des réserves et chute des cours du marché de l’uranium sont les principales raisons avancées par le conseil d’administration de la Cominak pour décider de la fermeture de la mine d’Akouta, effective, le 31 mars dernier. Pourtant, aucun résultat d’étude n’a été fourni par la société démontrant l’épuisement du minerai. Plusieurs travailleurs, des géologues, démentent cette raison avancée.

Pour Almoustapha Alhacen, radiologue, ancien employé de la Somaïr et coordinateur de la société civile d’Arlit « il y’a encore des réserves à la mine, peut-être pas à une teneur de 10 à 17 mg/1000 mais on peut toujours trouver 1 à 5 mg/1000 ». Selon lui, Orano, l’actionnaire majoritaire de la Cominak (59 % de parts), extrait le minerai ailleurs dans le monde à une teneur de 0,5 mg/1000. Conclusion, selon Almoustapha, Orano a un agenda caché.

Si l’épuisement de la mine de la Cominak n’a pas été prouvé par la compagnie minière, la chute du prix du « gâteau jaune » sur le marché est une évidence. De 300 $ (environ 170 000 FCFA) en 2007, selon le bulletin d’information de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (Aiea) de juin 2018, le kilogramme de l’uranium a chuté jusqu’à 18 $ en 2016 pour se stabiliser entre 40 et 50 $ depuis 2018 (22 500-28 000 FCFA). Toutefois, la baisse du prix de l’uranium est-elle suffisante pour justifier cette fermeture? Difficile de le dire. De 2016 à 2019, la production moyenne d’uranium enfûté était de 1 270 697 kg par an selon les chiffres officiels mentionnés dans le rapport (2019) environnemental de la Cominak.

Selon des informations recueillies auprès d’une source à l’usine de la Cominak, jusqu’à la fermeture de celle-ci, en moyenne 8 lots de 48 fûts d’uranium sont produits chaque mois par la Cominak, chaque fût contenant 450 kg d’uranium soit 8 294 400 kg d’uranium enfûté par an.

Si la baisse du prix de l’uranium devait être une raison pour mettre fin à l’exploitation, pourquoi la Société des Mines de l’Aïr (Somaïr), la 2e mine d’Arlit détenue aussi par le géant Orano à 64 % n’a-t-elle pas mis la clé sous la porte ? C’est pourtant les mêmes marchés, les mêmes conditions d’exploitation, la même main-d’œuvre. Mieux, la Somaïr « extrait l’uranium à une teneur inférieure à celle de la mine de Cominak », selon Mounkeila Abassa, employé de la Somaïr et secrétaire général du Syndicat National des Travailleurs des Mines du Niger. L’un dans l’autre, la fermeture de la Cominak telle qu’elle a été annoncée et de la manière dont elle se déroule constitue un véritable drame socioéconomique pour des milliers de personnes intervenant dans le secteur des mines, la seule activité économique qui fait vivre Arlit, et le visage de ce drame ce sont les « travailleurs sous-traitants » de la mine.

Des travailleurs sous-traitants abusés…

L’une des révélations de cette fermeture de la Cominak, c’est sans aucun doute la situation des travailleurs sous-traitants mis à la disposition de la filiale d’Orano par des entreprises locales. Après plusieurs années de travail dans des conditions ne respectant parfois pas les normes de sécurité pour des travailleurs de mines, à savoir le manque d’équipement de protection individuelle (EPI), selon les témoignages des ouvriers eux-mêmes, Cominak a décidé d’exclure ces derniers de son plan social de fermeture. Ledit plan social  prévoit des primes et indemnités de fermeture évaluées entre 15 et 40 millions de francs CFA (selon le bulletin d’information minière Maimagana N°16, mars 2021) pour les travailleurs (statutaires).

Cependant, « cette démarche ne traite pas des employés de la sous-traitance car ils ne sont pas en contrat direct avec Cominak. Il incombe à leurs employeurs en liaison avec l’administration du travail de traiter leurs cas en bonne et due forme », indique la filiale d’Orano dans son plan social de fermeture.

Au nombre de 813 à la date de la fermeture de la mine, ces ouvriers que Cominak a exclus de son plan social de fermeture ont travaillé dans les mêmes conditions que les travailleurs statutaires. « Ils ont été soumis au même rayonnement, au même rythme de poste, aux mêmes bruits des engins », se désole un cadre des mines à la retraite. Plusieurs d’entre eux ont subi des « accidents à leur poste, avec parfois des membres coupés », poursuit-il.  Ces travailleurs sous-traitants ont parfois contracté des maladies, notamment respiratoires et étaient exposés au radon.

A Arlit (1200 km de Niamey), nous avons rencontré certains de ces ouvriers qui ont accepté de témoigner, malgré, selon eux, les menaces qui pèsent sur eux et les représailles qui peuvent en découler. R.D. est l’un d’entre eux, il a travaillé à la grande régie mine jusqu’à la fermeture. Son rythme de travail quotidien : plus de 10 heures dans la mine au contact de substances toxiques durant 15 ans. « Mon travail consiste à faire ressortir de l’exhaure; nous sommes souvent en contact direct avec de l’eau industrielle. Nous faisons la pose et la dépose des tuyaux d’eau, des câbles électriques grosses sections et des pompes pour évacuer l’eau et rendre le minerai accessible », nous explique cet homme âgé de 39 ans.

Parmi les « travailleurs sous-traitants », certains ont intégré la mine en remplacement de parents devenus invalides pour cause d’accident de travail ou décédés en activité. C’est le cas d’A.L. : « je suis égoutier en remplacement de mon père qui est mort d’une maladie du foie. Nous n’avions pas d’horaire fixe, de jour comme de nuit, nous travaillons et nous n’avions pas d’EPI (équipement de protection individuelle) ni de produits d’entretien après intervention », confie le sous-traitant plein de déception.

Durant les 12 années au cours desquelles a travaillé A.L. pour la filiale d’Orano, après le décès de son père, il a touché invariablement la modique somme de 50 000 CFA de salaire mensuel (environ 77 euros). Comme ses collègues employés des sous-traitants, il n’a jamais eu droit à la visite médicale systématique que la Cominak avait l’obligation d’assurer aux travailleurs. Aussi, pour chaque travailleur, elle est censée assurer une visite médicale de débauchage en fin de service. Celle-ci devait permettre à ses ouvriers provenant des quatre coins du Niger d’évaluer leur état de santé en fin de service ou en cas de fermeture. Aucun des travailleurs rencontrés n’a bénéficié de cette visite médicale ce qui fait dire à Ahmed Djibrilla, agent sous-traitant à la géologie de la mine « plusieurs d’entre nous rentreront à la maison sans aucun franc mais avec des maladies au sein de nos foyers ».

Ces ouvriers sous-traitants rivalisent d’histoire, les unes plus incroyables que les autres. A 10 km d’Arlit, à Akokan, l’histoire d’Almocktar Firia est inédite. Il est concierge sur un site de la Cominak, il a travaillé plus de 40 ans au service de la filiale d’Orano soit au-delà du temps légal de travail. On raconte que les services de la caisse de sécurité sociale le croyaient mort et recherchaient ces ayants droits.

M.Almoctar F.

Almocktar dit avoir vécu des conditions de travail exécrables, et malgré son embonpoint trompeur, en langue haoussa, il dit « je suis épuisé mon fils » « je n’ai même plus de tenues de travail, celle que vous voyez sur moi, je l’ai empruntée ». Et pourtant, cet homme âgé de 73 ans est toujours en activité.

Décidés à obtenir gain de cause, les ouvriers réunis au sein du Syndicat National des Travailleurs des Mines du Niger (Syntramin) ont mené des démarches auprès des autorités notamment, le gouvernement, le Parlement, les chefs traditionnels, etc. pour plaider leur cause, mais sans succès.

En janvier 2021, gagnés par le désespoir, ces travailleurs qui dénoncent « le silence des médias de Niamey sur leur sort en particulier » et sur la « fermeture scandaleuse de la Cominak en général », ont observé un mouvement de grève illimitée sans service minimum. Après 9 jours de débrayage général qui a paralysé la société qui s’apprêtait à fermer fin mars, ils ont pu avoir une « miette qui ne changera pas grand-chose » à leur sort de l’après-Cominak.

Un groupe d’agents sous-traitants en grève

En effet, le 19 avril, à l’issue de longues négociations, un accord a été signé entre la Cominak et ses sous-traitants. Cet accord prévoit « une contribution de fin de chantier » au profit de ces ouvriers, une enveloppe de trois cent millions 300 000 000 FCFA  pour les 813 ouvriers sous-traitants que la Cominak considère comme non pas un droit mais une mesure d’accompagnement visant à soutenir ces ouvriers.

Seulement, cette contribution de fin de chantier sera « à la hauteur des droits légaux pour les salariés de la sous-traitance en CDI avec leurs employeurs » peut-on lire dans le protocole d’accord signé par les deux parties.

En clair, Cominak versera à chacun des 813 ouvriers l’équivalent des droits légaux de licenciement. Ces droits censés être versés par les employeurs sous-traitants sont calculés sur la base des salaires mensuels de chacun d’entre eux, « des salaires de misère », selon eux. Le plus élevé des salaires de l’ensemble de ces 813 ouvriers sous-traitants « est de 150 000 Fcfa (230 euros) », d’après Mohamed El Hadj travailleur sous-traitant à la retraite, qui a travaillé plus de 20 ans en qualité de géologue.

Sur les 813 ouvriers, toutes compétences réunies, ils sont moins de 50 à prétendre à un tel traitement salarial mensuel. Selon Moussa Abdoulaye, opérateur à l’usine Cominak (travailleur sous-traitant), 90 % de travailleurs sous-traitants n’ont pas de contrat et leur salaire est situé entre 60 et 70 000 FCFA ».

C’est ainsi, que des employés qui ont travaillé près de 25 ans se retrouvent avec des sommes « dérisoires » comme droits de licenciement. Le cas de Hamed Kemil qui a travaillé pour une entreprise sous-traitante (Tamgak) est illustratif. Il a reçu un peu moins de 870 000 francs CFA (1 220 euros) d’indemnités de licenciement après plus de 22 ans de service pour le compte de la Cominak.  (Le smic en France est de 1 539 euros, en juin 2020).

Au 30 août, 5 mois après la fermeture de la mine, sur les 30 entreprises qui emploient les 813 travailleurs, seules 7 ont versé les droits de licenciement. Nombre de ces entreprises sous-traitantes ont exprimé leur refus de payer les droits de licenciement, selon Almou Gabdou, délégué des ouvriers sous-traitants. Toujours d’après lui, à cette même date, la deuxième entreprise sous-traitante en termes de plus grand nombre d’ouvriers mis à disposition, EM (Entreprise Malami) « n’a versé aucun franc comme droits à ses employés ».

Pour en  savoir davantage sur les raisons de ce refus d’EM de payer les droits légaux de ses ouvriers, nous avons tenté de rencontrer le patron de l’entreprise Elhadj Malami lui-même mais sans succès. Ce dernier ne souhaitant pas visiblement nous rencontrer, c’est auprès de l’inspecteur du travail d’Arlit que nous avons pu prendre connaissance des raisons du refus du deuxième plus gros employeur d’ouvriers sous-traitants, avec lui une vingtaine d’autres employeurs refusant de payer les droits légaux.

Selon Abdoul Aziz Adamou, inspecteur du travail d’Arlit, « les employeurs sous-traitants, considèrent que l’enveloppe accordée par la Cominak en guise de mesure d’accompagnement aux ouvriers leur revenait à eux (employeurs) et par conséquent  ils ne leur doivent rien ». L’inspecteur, saisi du dossier, estime cet argument peu valable dans la mesure où le premier employeur, en termes d’effectif  (Entreprise Ali Abdourahmane, ndlr) a payé les droits légaux de ses ouvriers.

En juillet 2021, l’inspecteur Abdoul Aziz avait tenté une conciliation entre les 2 parties mais sans succès.  Ce dernier a ainsi renvoyé le dossier devant les tribunaux d’Agadez, un procès est prévu pour le 12 janvier. Pour Yahaya Abdou, auditeur à la bourse du travail ayant conduit des audits dans le département d’Arlit, « cette situation est née d’une faiblesse du Code minier qui n’a pas encadré la sous-traitance dans le secteur  minier ».

Si la législation ne garantit pas une rémunération décente pour cette catégorie de travailleur, M. Yahaya souligne toutefois que « ces travailleurs ont les mêmes droits que les employés statutaires en ce qui concerne les prestations familiales de la CNSS et la pension de retraite ». Cependant sur ce plan, la situation de ces travailleurs n’est guère reluisante à la CNSS.

Un responsable de la CNSS d’Arlit détourne plus de 200 millions FCFA de cotisations des ouvriers… 

« Plus de 200 000 000 de FCFA de cotisations d’ouvriers ont été détournés par un ancien responsable de la caisse d’Arlit », révèle une source syndicale. Cette affaire au vu du montant en jeu a fait grand bruit à Arlit au moment des faits en 2015.   Comment cela est-il arrivé ?  Selon des sources proches de l’affaire, « durant plusieurs années, des entreprises sous-traitantes affiliées à la CNSS versaient tant bien que mal les cotisations de leurs agents déclarés. Malheureusement, ces cotisations estimées à plus de deux cent millions (200 000 000) FCFA, ne tombaient pas dans les caisses de la Sécurité Sociale », indique notre source.

Le responsable de la CNSS d’Arlit, au moment des faits, aujourd’hui derrière les barreaux, délivrait des faux reçus et faisait main basse sur les cotisations des ouvriers. Reconnu coupable de détournement et de faux et usage de faux, l’intéressé purge actuellement une peine de prison ferme. Cet épisode passé, les responsables de la CNSS ont mis de l’ordre au niveau de la direction départementale d’Arlit qui fonctionne à présent normalement avec des contrôles périodiques, apprend-on.

Des entrepreneurs qui contournent les règles et défient l’autorité… 

Pour attribuer un contrat de sous-traitance, les sociétés minières d’Arlit : Cominak et Somaïr (filiales d’Orano, ex Areva) demandent aux entrepreneurs de fournir des attestations      d’inscription de leurs ouvriers à la CNSS, conformément à la réglementation en vigueur. De ce fait, l’ensemble des entreprises qui travaillent pour la Cominak devraient être affiliées à la Cnss et déclarer leurs effectifs. Cependant, dans la pratique, le constat est tout autre. Selon les investigations d’une mission de l’inspection du travail qui nous a précédé sur le terrain à Arlit le 7 mai dernier, « plusieurs employeurs sous-traitants échappent à la caisse ». A côté de ceux-là, « il y a certains qui sont affiliés mais qui ne déclarent pas leurs agents, quand d’autres font de la sous-déclaration c’est-à-dire qu’ils ne déclarent pas la totalité des agents qu’ils utilisent ».

La question que l’on se pose : y a-t-il une complicité entre la direction de la Cominak et ses entrepreneurs ? Selon le délégué des travailleurs sous-traitants Almou Gabdou, les complices de ces agissements ne sont pas à rechercher uniquement au sein de la Direction de la Cominak. Pour contourner les exigences de la Cominak, certaines entreprises « se font établir des livrets fictifs pour leurs ouvriers en complicité avec des agents de la Cnss », selon Almou Gabdou.

« Normalement, il est de la responsabilité de la caisse d’obliger les entrepreneurs au versement des cotisations une fois qu’elle a émis un livret mais cela n’a pas été fait durant des décennies, ces entreprises ont, non seulement triché sur les déclarations mais elles ont détourné les versements prélevés sur les salaires » indique la même source.

Pour Zarafi Elhadj Hima Adamou, contrôleur Employeurs de la Cnss, « la caisse, contrairement aux services des impôts n’a pas les capacités d’obliger les employeurs à verser les droits de leurs employés ». Ce dernier reconnaît toutefois que la loi accorde cette prérogative à la CNSS mais « la réalité du terrain ne facilite pas la tâche à nos services ». En plus, « ces entrepreneurs en général n’ont même pas de documents comptables ». Dans ces circonstances, « nous pouvons fermer les locaux de ces entreprises conformément à la législation mais ceux qui vont en pâtir au final, ce sont les travailleurs dont la situation est assez fragile et cela va à l’encontre du caractère social de la Cnss », fait savoir le contrôleur employeurs de la CNSS.

Plusieurs centaines de millions d’évasion parafiscale…

Les arriérés que doivent les entreprises sous-traitantes des mines d’Arlit à la CNSS, se comptent par centaines de millions de FCFA, selon la CNSS. Parmi ces entreprises, « il y en a qui doivent à elles seules, plus de 700 millions de francs CFA », selon un responsable de la CNSS, information confirmée par l’Inspection du travail. Une entreprise comme EM (Entreprise Malami), « doit un peu plus de cent millions (100 000 000) de francs CFA à la CNSS» au titre de cotisations de ses employés, selon des informations à notre disposition ce qui a value à l’entreprise des poursuites judiciaires de la part de la CNSS.

« Nous avons contre EM deux (2) contraintes de justice », nous confie une source de la CNSS. « Ces décisions de justice nous permettent de sécuriser nos dettes. Si EM ne procède pas au paiement de ses dettes, nous pourrions grâce à ces décisions de justice saisir ses biens », indique notre source.

A Arlit au mois de juin, nous avons tenté de rencontrer cet employeur visé par 2 poursuites judiciaires intentées par ses employés licenciés et la CNSS mais en vain. De retour à Niamey nous avons continué les tentatives de le joindre au téléphone sans succès jusqu’au vendredi 3 septembre où nous avons pu avoir le patron d’EM  au téléphone. Malheureusement il ne pouvait pas nous parler, car il était 13 H 00. « Je suis à la mosquée » avait-il répondu pour prendre congé de nous lorsque nous nous sommes présentés à lui.

Nous l’avons rappelé le mardi 7 septembre, et cette fois ci « je suis à un mariage, je vous rappellerai demain matin », nous rétorque notre interlocuteur au bout du fil. Nous n’avons plus eu de ses nouvelles jusqu’au bouclage de cette enquête. EM ne nous a jamais rappelé jusqu’à preuve du contraire.

Arlit, au cœur de la malédiction des ressources minières…

Comment la ville d’Arlit, survivra-t-elle à cette fermeture de la Cominak? C’est la question que se pose la société civile d’Arlit après les travailleurs. « Si Cominak et Somaïr ferment, nous n’aurons pas d’eau à Arlit », prévient Almoustapha Allacen coordinateur de la société civile d’Arlit président de l’ONG Aghirin’man à l’avant-garde des défenseurs de l’environnement à Arlit.

Le problème d’eau, se fait sentir déjà à Akokan avec la fermeture de la mine. A Boukoki, un quartier de la commune d’Akokan où nous nous sommes rendus, depuis la fermeture de la Cominak, les populations n’ont de l’eau que 7 heures par jour de la seule borne fontaine qui alimente le quartier en eau potable. Khalid, militaire à la retraite, père de famille, craint le pire « un jour nous allons nous réveiller sans eau à boire qu’allons-nous faire dans ce cas ?».

Ce problème d’eau, justement, est en train d’asphyxier la seule activité économique qui donne de l’espoir à Akokan : le maraîchage.  En effet, depuis la fermeture de l’usine de la Cominak, les maraîchers de la ville ont aussi clos les portes de leurs jardins, cela va de soi. La quasi-totalité des sites de maraîchage sont arrosés avec les eaux industrielles de Cominak, une pratique qui comporte d’ailleurs d’énormes risques sanitaires.

La Direction de la Cominak à travers le volet sociétal du réaménagement prévoit des actions pour « minimiser les impacts sociétaux de la fermeture en assurant une transition pérenne adaptée aux besoins des populations et dans la limite de la responsabilité de l’entreprise ».   

Selon Maman Sani Abdoulaye Directeur Général de la Cominak, un budget de 4 milliards FCFA est prévu pour l’aide à la reconversion économique dont principalement l’industrie maraîchère. Ce fonds devrait faciliter « le développement de l’industrie maraîchère à travers un accompagnement financier sur 10 ans  » indique-t-on.

Sur le terrain, ils sont environ 100 travailleurs qui ont bénéficié du programme de reconversion, une formation en informatique et le permis de conduire. Pour Ahmed Djibrilla, agent sous-traitant (plus de 15 ans à la Cominak), ce programme dit de reconversion frise l’ironie « peut-on parler de programme de reconversion alors que moins de 100 travailleurs ont été cooptés sur un effectif de plus de 800? », aussi « à quoi une initiation à l’informatique de 4 jours pourrait-elle être utile à un ouvrier qui a passé toute sa vie à manœuvrer de la ferraille et broyer des masses rocheuses »? S’interroge ce travailleur sous-traitant à la géologie de Cominak.

Projet de réaménagement du site (Rds), des doutes et zones d’ombre…

Conformément au code minier et à ses engagements, la Cominak est tenue de rétrocéder un site réaménagé et non polluant selon les standards internationaux en vigueur. Pour ce Rds, un budget de 95 milliards de FCFA a été arrêté par le conseil d’administration et validé par les autorités nigériennes. Au cœur de ce réaménagement, des aspects sensibles tels que le réaménagement de la mine souterraine, les bassins d’exhaures et des eaux usées, le démantèlement de l’usine de traitement et l’enfouissement de plus de 20 millions de tonnes de résidus radioactifs.

De façon détaillée, le Rds prévoit « éliminer les risques d’accidents physiques, liés aux installations, aux galeries, aux carrières, aux bassins, rendre le site conforme à la réglementation sur la radioprotection et éliminer les risques liés aux produits et résidus chimiques, minimiser l’empreinte de la pollution et faire en sorte que le site et les déchets ne soient pas une source de pollution future », indique Orano dans son bulletin d’information annuelle de 2019. Comment le projet est-il conduit ? Les acteurs impliqués jouent-ils convenablement leur partition ? Telles sont les questions que se posent les acteurs de la société civile de Arlit, Akokan et Agadez.

Le Niger, en 50 ans d’exploitation minière « ne dispose d’aucun plan cadre de fermeture d’une mine » se désole Mounkeila Abassa SG Ben Syntramin. Résultat, le gouvernement accepte toutes les propositions d’Orano, ce qui n’est pas du goût de la société civile d’Arlit composée essentiellement d’anciens cadres des mines bien au fait des questions minières, dont certains ont fait leur preuve dans d’autres pays sur des projets de fermeture de mine.

A titre illustratif, en octobre 2019, une analyse comparative du Rds Cominak et le guide de réaménagement de l’International Council on Minings and Metals (ICMM) qui réunit les meilleures pratiques en matière de réarmement a révélé des écarts considérables entre le Rds Cominak et ce qui est considéré comme la norme mondiale en matière de réaménagement. Mais Orano se veut rassurant, « cette analyse a permis de définir les axes d’amélioration dans la mise en œuvre et le suivi du Rds Cominak », le géant du nucléaire met en avant son expérience de plus de 40 ans dans le réaménagement. Cette expérience comprend le réaménagement de 236 sites miniers en France exploités entre 1948 et 2001, la mine de Cluff Lake au Canada exploitée de 1980 à 2002 et celle de Mounana au Gabon exploitée de 1961 à 1999.

Or, le réaménagement de Mounana, cette mine qui a généré 26 000 t d’uranium en 40 ans d’exploitation est perçue comme un échec au Gabon et en France. La Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité (Criirad) a, dans une étude menée sur l’ancien site minier en 2010, indiqué que la radioactivité est omniprésente à Mounana plus de 20 ans après la fermeture de la mine. Cette radioactivité est provoquée par « la mauvaise utilisation de déchets miniers et la réhabilitation approximative de certains sites », indique l’étude.

Par ailleurs, dans un article publié dans la Revue Canadienne de Géographie Tropicale, de décembre 2017 titré « La malédiction des ressources minières : Mounana d’un village potentiellement riche à une ville fantôme », Dr Jean Kevin Aimé Tsiba chercheur à l’Institute de Recherche en Sciences Humaines (IRSH) au Gabon indique « Mounana apparaît désormais comme une ville fantôme. Le départ de la COMUF (Compagnie des mines d’uranium de Franceville) n’a pas été suivi d’une politique de diversification de l’économie qui pouvait garantir un meilleur niveau de vie à la population ». Le chercheur souligne par ailleurs, « la présence quasi permanente d’externalités négatives (résidus radioactifs) laissées par l’entreprise entache véritablement la qualité de vie des populations ». Aujourd’hui, cette ville du Haut-Ogooué (à l’Est du pays) est passée de 12 000 habitants en 1999 à 6000, selon le dernier Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 2013 au Gabon.

Est-ce la recette qu’Orano entend fournir à la ville d’Arlit? Il faudra attendre la fin du Réaménagement pour en juger. Du reste, un comité gouvernemental est chargé de contrôler le réaménagement du site Cominak. Le Directeur général de la Cominak explique le rôle dudit comité en ces termes : « Dans le cadre de son travail, le Comité d’Orientation anime des ateliers où sont conviées diverses parties prenantes. Un appel à la tierce expertise indépendante est fait régulièrement afin de conforter des décisions prises par des différentes instances dans le domaine technique, social et sociétal »  fait savoir le patron de la  Mine d’Akouta.

Ce comité tient régulièrement des rencontres à Niamey (environ 1200 km d’Arlit), ce que beaucoup trouvent peu pertinent. « Le comité interministériel, si réellement il veut faire un travail sérieux de suivi doit avoir son QG sur le terrain et tenir ces rencontres ici à Arlit », se désole un géologue. Pour Almoustapha Alhacenle Réaménagement « intéresse uniquement pour l’argent qu’il met en jeu (95 milliards FCFA), ce n’est pas pour le souci de bien faire ». Le radiologue nous indique que la radioactivité a une durée de vie de milliards d’années.

Toutes ces raisons font penser à plus d’un à Arlit, que le Rds risque d’être un drame environnemental qui viendra s’ajouter au drame socio-économique déjà perceptible dans la ville. Par ailleurs, ce qui renforce les doutes et les suspicions autour de cette fermeture, c’est de voir la presse ‘’indépendante’’ tenue à l’écart du projet dans le fonds. En juin dernier, un journaliste français, David Arnold du Média Arte Journal qui voulait réaliser un reportage sur le sujet, s’est vu retirer son autorisation préalablement accordée par le ministère de la communication, visiblement instruit à cet effet, mais par qui? Faut-il voir la main d’Orano derrière cette volonté manifeste de flouter la fermeture de Cominak et le Rds ?

Des manœuvres tendant à cacher le drame d’Arlit…

Le reporter français se préparait à voyager sur Niamey où il devait se présenter au ministère de l’intérieur comme cela se fait avant de continuer sur Arlit. David entretemps, a obtenu une autorisation de tourner sur le site d’exploitation de la Cominak. Seulement, quelques jours après cette autorisation il reçoit un mail du ministère de la communication « le ministère a changé d’avis », le journaliste ne peut plus entrer à Arlit. Le ministère motive ce retournement par une vague assertion, « les autorités nigériennes ne sont pas prêtes ».

En attendant, à Arlit, entre le marteau et l’enclume d’Orano et ses entrepreneurs sous-traitants  les ouvriers attendent le procès du 12 janvier pour être fixés sur leur sort. Un ancien cadre de la Somaïr que nous avons interviewé parle de « catastrophe humaine » parlant de la situation de ces travailleurs. Pourtant la sous-traitance avait permis à Orano de réduire le coût du travail dans les périodes de difficultés liées à la chute des cours du marché qui sont en pleine reprise depuis 2 ans.

Pour Saidou Ardji, ex coordinateur Afrique francophone de l’Ouest de la Coalition Publiez Ce que vous Payez (Pcqvp), « il y a une faiblesse de la législation en ce qui concerne les travailleurs sous-traitants des mines ». L’ancien journaliste estime que « la mise à disposition’’ dans les entreprises minières a une particularité du fait des risques sanitaires et d’accidents fréquents dans les mines souterraines telle que la mine de Cominak et les installations minières (radon, effondrement, brûlure, maladies pulmonaires etc…) ». Selon lui, l’État doit prendre des dispositions à l’avenir pour garantir un minimum de droits pour ces ouvriers.

Au plan environnemental, jusqu’en 2019 selon l’ONG Aghirin’man l’exploitation de l’uranium à Arlit a usé « 350 milliards de litres d’eau ». Ceci a provoqué une pollution de l’eau et l’assèchement de l’aquifère. Ce dernier mettra des millions d’années pour se reconstituer selon les spécialistes de l’environnement.

En ce qui concerne la pollution de l’air à Arlit, selon une étude menée en 2007  par la Commission de Recherches et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité (Criirad), organisation basée en France et l’ONG Aghirin’man, à Akokan (10 km  de la commune urbaine d’Arlit) « les niveaux de radioactivité sont 100 fois supérieurs aux normes » indique les conclusions de l’étude rapportés par le journal Maimagana d’Arlit dans sa parution du 01 de juin 2017. Cette même étude a relevé dans certains endroits de la ville «des taux de radioactivité 500 fois supérieurs aux normes en vigueur », selon le journal. Or, en 2007 les résidus radioactifs exposés dans la ville étaient estimés à moins de 10 millions de tonnes alors qu’en 2020 ces résidus sont évalués à plus de 20 millions de tonnes à Arlit selon la Cominak.

Voici la situation socioéconomique et écologique que lègue Orano à la ville d’Arlit après 47 ans d’exploitation de la mine de Cominak. Cette situation, méconnue dans le silence lointain des 1 200 km qui séparent Arlit de la capitale Niamey, pourrait devenir encore plus critique avec la fermeture imminente de la deuxième filiale d’Orano, la Somaïr qui pour l’instant tient Arlit en laisse

Les regards sont à présent tournés vers Imouraren (80 km au sud d’Arlit) où devrait débuter dans les 3 ans à venir l’exploitation du plus grand gisement d’uranium d’Afrique  voire du monde (informations à vérifier). L’exploitation de ce gisement est confiée à Orano actionnaire majoritaire (56,65 %) avec une participation de l’État du Niger à travers la Sopamine (33,35 %), et la Corée du sud à travers Kepco (10 %).

Enquête réalisée par Youssouf Sériba avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)

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