Interview :  » Pour les élèves qui sont au lycée et à l’université, nous sommes partis jusque dans leurs villes d’accueil pour leur assurer l’électricité et un peu d’alimentation afin de les encourager à continuer. Ce n’est pas de la compétence des communes, mais si nous ne le faisons pas, tous les efforts que nous fournissons à la base ne serviront à rien », reconnait Adam EFANGAL, député-maire de Tabelot

Située à 145 km au nord Est d’Agadez, chef-lieu de région, la commune rurale de Tabelot est limitée au nord par la commune de Timia, au sud par celle d’Aderbissanat et Teskher, à l’Est par la commune de Fachi et à l’Ouest par les communes de Dabaga et Tchirozerine. Selon l’institut national de la statistique, la commune rurale de Tabelot a une population de 50.071 habitants avec une superficie de 47.122,59 km2.  Les principales activités économiques de la commune sont le maraichage et l’orpaillage. C’est l’une de 4 communes qui composent le département de Tchirozerine. Sous la conduite de l’honorable Député-maire Adam Efangal, le Conseil municipal de Tabelot a au cours de trois dernières années investi sur fonds propres la somme de 793.454.710 FCFA au profit de plusieurs secteurs sociaux de base. Un exemple d’engagement et de témérité qui doit inspirer les autres communes de la région.


Aïr info : Quelles sont les ressources dont dispose la commune de Tabelot pour répondre aux attentes de la population ?

Député-maire Adam EFANGAL : Pour parler des ressources de la commune, il faut d’abord commencer par les potentialités. Généralement nos communes ont des ressources assez limitées qui se résument par les taxes sur le marché, quelques rétrocessions de certaines taxes au niveau du gouvernement et la taxe municipale. Dès le départ, nous avons misé sur la taxation de la production marchande. La commune est par excellence une commune à grande potentialité de production agricole, nous avons décidé de mettre des taxes sur les produits agricoles, sensibiliser la population pour que ces taxes soient mobilisées et aussi la création d’un certain nombre de marchés.
Au niveau de la commune, nous en avons deux (2), celui de Tabelot, chef-lieu de la commune, celui d’Abardek et un troisième au niveau de Inwajoud qui commence timidement. Et au cours des trois (3) dernières années, l’orpaillage s’est développé, nous avons pris des initiatives au niveau du Conseil pour taxer cette activité, afin de mobiliser des ressources.
L’incivisme fiscal se fait ressentir au niveau de la taxe municipale où les gens, après beaucoup d’années de rébellion dans cette zone nord, sont réfractaires au paiement de la taxe municipale. D’ailleurs au niveau de notre commune et de plusieurs autres de la région d’Agadez, le taux de mobilisation de la taxe municipale ne dépasse guère 20%, ce qui est vraiment assez insignifiant. Par contre, la taxe sur la production marchande ou même au niveau de l’orpaillage, le taux de recouvrement est appréciable. Mais quand vous mettez le tout ensemble, le taux de réalisation du budget en termes de recettes n’est pas satisfaisant, puisque on arrive de 30% à 40% ; pour nous ce n’est satisfaisant.
Il y a beaucoup d’efforts à faire à ce niveau en termes de sensibilisation. Nous avons commencé à ériger nos différents hameaux en villages administratifs, pour responsabiliser les chefs de village à la mobilisation de la taxe municipale. Nous avons commencé cette année et à la fin de l’année, nous allons voir les résultats. Mais déjà, nous sentons qu’il y a un changement, un engouement, vraiment nous avons de l’espoir que de 20 à 30%, nous pouvons aller jusqu’à 70% de taux de recouvrement, par rapport à la taxe municipale.
Il faut se baser sur le potentiel qu’il y a, parce que s’il n’y a pas de ressources financières internes, on ne peut pas lever les ressources externes, donc on ne peut pas faire de développement, or aujourd’hui, la population est de plus en plus exigeante, attend beaucoup de services dans le domaine de la santé, de l’hydraulique, de l’éducation et de beaucoup d’autres secteurs. Sans ressources, on ne peut pas y arriver.

Quels sont les efforts déployés par la commune pour améliorer les services sociaux de base au profit de la population ?

A l’image de notre pays, le secteur de l’éducation est un secteur qui connait quelques difficultés, en termes de la qualité de l’offre de l’éducation. En effet, il n’y a pas suffisamment d’enseignants dans toutes les écoles, les enseignants ne sont pas forcement des enseignants de qualité. Cela, il faut le reconnaitre, c’est général dans tout le pays, ce n’est pas à notre niveau seulement. Mais au niveau de la commune de Tabelot, on s’efforce de consacrer une grande part de notre budget pour appuyer l’école en construisant des infrastructures, notamment les classes, entre autres. De même, nous dotons les classes de tables-bancs, appuyons les structures de l’éducation à organiser des réunions comme les CAPED ; nous essayons de répondre au mieux que nous pouvons aux responsables de l’éducation qui nous sollicitent. Nous partons jusqu’à aider le Collège d’Enseignement Général (CEG) qui ne relève pas de notre compétence, mais par la force des choses, nous arrivons à supporter ce collège pour permettre aux enfants de continuer à étudier, à travers une sorte d’internat pour leur assurer l’alimentation. Nous le faisons régulièrement, parce que sans cela il y aura un important taux de déperdition au niveau des élèves.
Les enfants qui viennent des villages sont obligés d’abandonner parce qu’ils n’ont pas l’entretien nécessaire. Pour les élèves qui sont au lycée et à l’université, nous sommes partis jusque dans leurs villes d’accueil pour leur assurer l’électricité et un peu d’alimentation afin de les encourager à continuer. Ce n’est pas de la compétence des communes, mais si nous ne le faisons pas, tous les efforts que nous fournissons à la base ne serviront à rien. Nous sensibilisons beaucoup la population pour qu’elle accorde une grande importance à l’éducation, mais jusqu’à présent, il y a des populations rurales qui sont récalcitrantes, surtout par rapport à la scolarisation des filles. Nous appuyons les structures à mieux sensibiliser pour que les populations accordent une importance capitale à ce secteur, parce que sans la formation, on ne peut pas assurer un développement de qualité à ces populations.
En ce qui concerne la santé, il y a beaucoup de besoins en infrastructures et en personnel. Nous en avons fait notre priorité en construisant des cases de santé, en recrutant des jeunes de la commune pour les envoyer dans les écoles de santé pour qu’ils soient formés et aptes à gérer lesdites cases de santé. Nous avons cinq (5) CSI et plus d’une dizaine de cases de santé dans la commune. Nous avons construit la majeure partie de ces cases de santé avec nos propres moyens ou avec l’appui de nos partenaires. Les CSI ont été construits par l’Etat mais, à tous les niveaux, nous essayons d’apporter notre appui à travers la mise en place des agents auxiliaires, les ambulanciers, l’achat des produits et la formation des agents de santé. Durant les six (6) dernières années, nous avons formé une dizaine d’agents de cases de santé sur fonds propres de la commune et nous avons recruté encore pour servir dans ces cases de santé.

Quels sont les avantages que la commune de Tabelot tire des activités d’orpaillage et quelles sont les difficultés qui résultent de ces dernières ?

La découverte des sites d’orpaillage au cours de ces trois (3) dernières années a entrainé l’immigration de plusieurs personnes venant de l’intérieur du pays comme de l’extérieur. Cela a permis d’augmenter nos recettes parce que nous taxons certaines activités d’orpaillage. Mais la cohabitation des immigrés avec la population nous donne beaucoup de travail, il y a beaucoup de sensibilisation à faire. Sur les sites d’orpaillage, il faut mettre des comités, sensibiliser les usagers par rapport à l’environnement. En effet, nous sommes dans une zone presque désertique et les orpailleurs ne font pas attention aux quelques arbres qu’il y a ; cela constitue un problème. Sur le plan socioculturel, l’orpaillage entraine des pratiques telles que la prostitution et la consommation de drogues et stupéfiants. Ces pratiques constituent un mauvais exemple pour nos enfants, elles poussent même certains d’entre eux qui pensent que c’est ainsi que l’on gagne facilement de l’argent, à ne pas aller à l’école. Cela nous rend le travail encore plus difficile. En effet, il faut sensibiliser, faire en sorte qu’il y ait l’harmonie, la paix entre les différents acteurs qui interviennent.
Au niveau de l’éducation, les enfants des immigrés constituent une préoccupation dont il faut tenir compte.
Pour ce qui est de la santé, les produits utilisés et les infrastructures disponibles sont pour une certaine population donnée, mais si cette population se multiplie par trois (3) ou par quatre (4), il va de soit que cela pose des sérieux problèmes auxquels la commune, à elle seule, ne peut pas y faire face. Nous avons des Organismes comme l’OIM qui viennent en appui au niveau des services de santé et au niveau des marchés. Ils sont à l’écoute de la Mairie et de la population et ils prennent en compte les mesures qui leur sont proposées. Je pense qu’au niveau de l’Etat, il doit y avoir des efforts pour plus d’infrastructures pour encadrer tout ce monde, parce qu’on ne peut pas arrêter les activités d’orpaillage, compte tenu de la morosité économique qui prévaut dans le pays, de manière générale.  A cet effet, il est nécessaire d’accompagner la population et la commune de Tabelot.

La rétrocession des ressources par l’Etat, a-t-elle un impact réel sur le développement de votre commune ?

j’avoue que la rétrocession des ressources par l’Etat concerne plusieurs taxes. Ici, ce qu’il y a de commun pour les communes urbaines et les communes rurales, c’est surtout les redevances minières, cette taxe est assez importante pour la région d’Agadez qui est une zone de production minière. Malheureusement, les efforts de l’Etat sont timides à ce niveau ; il n’est pas à jour. Lorsque j’étais au poste de président régional de l’Association des Maires du Niger (AMN), les arriérés se chiffraient à plus d’une dizaine de milliards pour la seule région d’Agadez. Les sociétés minières sont à jour à ce niveau, mais l’Etat ne l’est pas. Il faut trouver un mécanisme, le mieux adapté, pour que les 15% de redevances minières reviennent aux collectivités en temps réel. Les communes en ont besoin, surtout les communes rurales qui n’ont pas un grand potentiel fiscal. En dehors des communes urbaines d’Agadez et d’Arlit, les autres communes ne peuvent pas faire de développement avec la taxe municipale qui est recouverte à un taux très faible. Aujourd’hui, les populations ont des besoins énormes dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’hydraulique. Sans ressources, on ne peut pas répondre à ces besoins.

Que représentent les activités agricoles à l’économie locale et au développement durable dans la commune de Tabelot ?

La commune de Tabelot produit 60% de la production de la région d’Agadez et l’oignon est notre principale production. Bien qu’on puisse produire l’oignon deux (2) à trois (3) fois dans l’année, les gens attendent le moment où le prix est bon et où le marché extérieur (la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Ghana) est accessible.
Comme nous produisons en période hivernale, on arrive à écouler au moment où les régions du sud comme Tahoua et une partie de Maradi n’ont pas encore leurs productions. C’est une stratégie pour éviter la mévente. Les autres, quand ils produisent leur oignons, ils les stockent en attendant le pic du prix sur le marché, par contre nous produisons au moment du pic du prix et nous n’avons pas besoin de stocker le produit, nous les mettons directement sur le marché. Mais il nous arrive parfois de faire face à la mévente quand il y a de problèmes sur les marchés de la Côte d’Ivoire et le Ghana, et dans une telle situation, nous ne disposons pas d’infrastructures pour le stockage de l’oignon. Je crois que l’Etat doit définir comment faire face à ces genres de situation, au niveau de sa politique agricole, parce que cela dépasse les capacités des collectivités que nous sommes. En dehors de l’oignon qui constitue ici la spéculation la plus importante, nous avons d’autres produits comme l’ail et la pomme de terre. Mais pour ce qui est de la pomme de terre, elle se consomme à l’intérieur du pays, surtout à Niamey. Dès qu’on produit une grande quantité de pomme de terre, on fait face à la mévente puisqu’on ne peut pas l’exporter vers les pays voisins, et pour le moment, on n’a pas pensé à la transformation de ce produit.

Quels sont les défis auxquels vous faites face et comment les surmonter ?

Il y a quelques années que je suis à la tête de la commune de Tabelot, après ces années, je découvre que dans tous les secteurs, il y a beaucoup de problèmes qui ne sont pas réglés pour la population. Pour que la commune puisse faire face à tous ces problèmes, il lui faut des ressources propres et cela nécessite de travailler beaucoup sur l’agriculture et l’élevage. L’orpaillage est une opportunité qu’il faut exploiter, mais l’agriculture et l’élevage constituent les grands potentiels qu’il faut travailler. L’Etat doit encore accompagner les collectivités dans ce sens, pour moi les efforts que l’Etat fournit à cet effet ne sont pas suffisants. Le développement doit partir de la base et non pas au sens contraire. Dans la commune de Tabelot, ceux qui ont entre 15 et 45 ans constituent la majorité de la population, il n’y pas de quoi occuper ces jeunes en dehors de l’agriculture et l’élevage. Par ailleurs, même si on envoie beaucoup d’entre eux à l’école, l’Etat ne peut pas tous les embaucher.
Ainsi, dans le secteur privé, l’agriculture et l’élevage constituent les seuls sous secteurs où on peut définir une politique cohérente, à travers la maitrise de l’eau pour atteindre l’autosuffisance alimentaire. C’est en produisant nous-mêmes ce que nous allons consommer que nous allons atteindre l’autosuffisance alimentaire, après quoi on peut penser au développement. On peut également faire un focus sur les ressources minières afin de mobiliser des ressources qui peuvent aider à développer les secteurs de l’agriculture et l’élevage dans nos communes pour donner du travail à nos jeunes et atteindre l’autosuffisance alimentaire, d’une façon générale.

Quel appel lancez-vous à l’endroit du gouvernement dans le cadre du développement local ?

Les infrastructures routières constituent un important facteur de développement pour nos communes. Concernant la commune de Tabelot, la route qui relie Agadez, Dabaga et Tabelot est en mauvais état. Quels que soient les travaux de réhabilitation qu’on effectue sur cette voie, ils seront annulés par les eaux pluviales. Ce tronçon s’étend sur une zone de production agricole importante, dans l’année il y a des moments où il y a sur cette route, de 50 à 100 camions par jour transportant des produits maraichers. Ainsi, je demande au gouvernement de nous bitumer la route Agadez-Tabelot, parce que je suis convaincu qu’une fois goudronnée, cette route va accélérer notre développement. Certes nous avons beaucoup d’autres besoins, mais cette route est notre priorité, elle constitue un facteur fondamental de notre développement. Je vous remercie M. Ibrahim.


Interview réalisée par Ibrahim Manzo DIALLO

Témoignage recueilli dans le cadre du projet « Autonomiser les jeunes en Afrique à travers les médias et la communication » mis en œuvre par l’UNESCO dans 8 pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, avec le soutien financier de l’Agence italienne pour la coopération au développement (AICS) à travers le « Fondo Africa » du Ministère italien des Affaires Étrangères et de la Coopération internationale (MAECI) ».

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