L’esclavage persiste au Niger malgré son interdiction depuis 2002. La réalité de cette pratique est brutale dans certaines régions, mettant en lumière les défis auxquels sont confrontés les défenseurs des droits humains. Des témoignages poignants et des données alarmantes soulignent l’urgence d’une action pour mettre fin à cette injustice et garantir la liberté et la dignité de tous.
Sur la margelle du puits, un jeune et frêle corps de fille s’évertuait à remonter la puisette que tirait sa mère. Nous saurions plus tard que c’est Fatma et sa fille Dijou. Deux à trois fois dans la journée, elles accomplissaient la corvée d’eau pour le besoin de la famille de Ibinguil, un septuagénaire touareg.
Ce jour-là, un vent chaud et sec soufflait sur le campement. Un peu à l’écart de la tente du maître, à l’ombre d’un acacia rabougri, s’affairait une autre femme : Aminata, la sœur ainée de Fatma. La petite Dijou, aussitôt revenue du puits, aida sa mère, restée à la traîne sous le poids de ses bidons, à décharger l’eau. Sans attendre, la petite se mit à laver écuelles et tasses sales jetées pêle-mêle dans la cour du campement. Elles n’étaient nullement gênées par notre arrivée. Leur silhouette élancée et la finesse de leurs traits de visage couplées à la couleur foncée de leur peau trahissait à première vue leur lien de famille.
Au cours de nos échanges avec le chef de famille et lesquels portaient sur la vulnérabilité des ménages en milieu nomade, un membre de notre équipe, d’ethnie zarma, demanda sous forme de vive boutade « Pourquoi ces femmes travaillent-elles toutes les trois sous le soleil ? ». « Parce qu’elles sont mes filles, ici chez moi, tout le monde travaille », répondit l’éleveur d’un ton agacé.
Et pourtant, ses enfants à lui, étaient là sous une autre tente, sise non loin de nous. Occupés à ne ….rien faire.
« 2204 personnes identifiées comme étant toujours en esclavage dans certaines localités d’Agadez »
Si la définition de l’esclavage se résume à « l’état d’une personne qui se trouve sous la dépendance absolue d’un maître et lequel a la possibilité de l’utiliser comme un bien », alors on dénombre plusieurs cas d’esclavage dans certaines localités de la région d’Agadez.
Pour Alayé Silimane de l’association Timidria, « on trouve encore des cas d’esclavage à l’ouest d’Ingall, comme au village d’Asmane, vers la frontière avec l’Algérie et aussi vers Adranboukane vers le Mali. Nous avons relevé d’autres cas dans les localités de Mazababou, Aderbissinat…etc. ». Et Alayé d’expliquer qu’ « après une enquête de 46 jours diligentée par notre association Timidria, nous avons répertorié 2204 cas d’esclavage dans des localités d’Agadez. Nous reconnaissons quand même que ce n’est pas très répandu comme dans certaines localités situées dans les régions de Tahoua ou de Tillabéri. »
Ce que confirme le président régional de Timidria d’Agadez Elhadji Bilal Afournounouk « l’esclavage dans la région d’Agadez existe dans certaines poches seulement. Et c’est qui est curieux, même quand nous approchons ces personnes pour les aider à s’affranchir et défendre leurs droits, elles nous disent si nous quittons qui va nous nourrir ! C’est difficile, voyez-vous ! »
« Les personnes qui sont dans cette situation trouvent hélas qu’il ne sert à rien pour elles de vouloir s’affranchir. Elles sont comme tétanisées à l’idée de faire face à ceux-là qui les ont exploitées, les exploitent et probablement exploiteront leurs enfants, c’est un casse-tête pour nous défenseurs des droits humains », explique Moussa de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH), antenne d’Agadez.
« Bien qu’interdit par le Code pénal du Niger depuis 2002, l’esclavage basé sur l’ascendance, continue de prospérer »
En effet, la majorité de cas répertoriés sont nés d’ascendance familiale. Selon des rapports consultés par Aïr Info, il ressort que « l’esclavage basé sur l’ascendance est toujours prévalant au Niger bien qu’il soit interdit depuis 2002 en vertu du Code pénal. »
Ce phénomène réducteur et blessant pour la dignité humaine survit dans certaines couches populaires vivant au Niger notamment chez les Arabes, les Peuls, les Toubous et les Touaregs. Ces populations comme le mentionne ces rapports « continueraient de disposer à leur guise d’esclaves, de leur travail, de leurs enfants et de leurs biens. »
Un grief qu’illustre bien l’indice mondial de l’esclavage qui précise qu’en « 2018, il existait environ 133 000 personnes victimes d’esclavage au Niger, malgré les décisions de justice et les campagnes de sensibilisations menées aussi bien par les anciennes victimes de cette pratique que par certaines organisations de la société civile. Les descendants d’esclaves qui ne sont plus sous le contrôle direct de leur « maître » seraient toujours considérés comme « esclaves » par la société et feraient l’objet de stigmatisations et de discriminations de toutes sortes. »
« 25 affaires avaient été jugées devant les tribunaux entre 2015 à 2019… »
La persistance de l’esclavage basé sur l’ascendance ayant été reproché au Niger par des organisations internationales œuvrant dans le domaine n’a pas été du goût des officiels nigériens présents hier (Ndlr : 14 avril 2023) à la 109 ème session du comité pour l’élimination de la discrimination raciale à Genève en Suisse.
En effet, le ministre de la Justice Mohamed Abdoulaye IKTA a été catégorique « au Niger, il n’existe pas de notion d’«enfant d’ascendance esclave. » Tous les enfants ont les mêmes droits s’agissant de l’accès à l’éducation, à la santé, ou à la nationalité, a-t-il expliqué. Il existe bien des pratiques liées à l’esclavage, mais il s’agit de pratiques cachées non institutionnalisées, a dit en substance le ministre IKTA.
Au cours de cette session, comme pour montrer que l’Etat du Niger fait de son mieux pour combattre le phénomène de l’esclavage, le ministre IKTA a indiqué que « 25 affaires avaient été jugées devant les tribunaux entre 2015 à 2019 et a rappelé que c’est en 2003 que le Code pénal a été modifié pour y insérer l’incrimination de l’esclavage. Dans le projet de remaniement du Code pénal, il y a une vingtaine d’articles qui sont consacrés à l’esclavage, avec notamment la notion d’esclavage moderne », a conclu le ministre IKTA Mohamed.
Sensibiliser davantage les communautés cibles pour la quête de leur droit fondamental de liberté
Nonobstant les efforts des autorités nigériennes à travers le réarmement juridique de nos textes, il est impératif que les associations de défense des droits humains et leurs partenaires continuent leur engagement aux côtés des victimes de ces pratiques désuètes, dégradantes et avilissantes. Il faut qu’ils continuent à sensibiliser les communautés cibles pour la quête de leur droit fondamental de liberté. Mais surtout renforcer leur résilience en leur apportant un soutien socioéconomique conséquent et une assistance juridique robuste pour qu’ils puissent faire face à toute épreuve.
Oui, prétendre un beau jour, lever haut la tête et crier au ciel leur joie d’hommes, des femmes et d’enfants libres de toutes les chaînes, libres de toute stigmatisation, de tout remords.
Ibrahim Manzo Diallo
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