Entre début mars et fin avril 2023, plus de 7000 migrants, subsahariens, ont été expulsés de l’Algérie en direction du petit village frontalier d’Assamaka au Niger. Le nombre très élevé des expulsions et la fréquence accrue de ces dernières dépassent les capacités d’accueil de l’unique centre de transit de l’OIM. Conséquence ! Plus de 5000 migrants non nigériens, désemparés et profondément traumatisés errent dans les rues d’Assamaka. Chronique d’une crise humanitaire et des droits humains.
Assamaka est un petit village situé à l’extrême Nord du Niger, à quelques 200 km de la ville minière d’Arlit et à seulement une quinzaine de km de la frontière algérienne. C’est un village d’à peu-près 2500 habitants qui reçoit depuis début mars jusqu’à fin avril 2023 des vagues de migrants pris dans les filets des Forces de sécurité algériennes.
Après avoir été trimbalés de centre de rétention en centre de rétention, expropriés de tous leurs biens et ayant subi les pires sévices, ces migrants ouest-africains sont jetés tels des malpropres à 15 km d’Assamaka. Un endroit appelé Point-zéro, qui est marqué par une stèle de métal. Ces migrants y sont déversés nuitamment, avec pour seule boussole les lumières faiblardes du village, au loin.
Les plus vigoureux atteignent le village avant l’aube et donne l’alerte aux ONG locales pour qu’elles puissent se mobiliser pour aller récupérer les plus faibles qui n’ont pas pu parcourir la distance à pied. Ce sont généralement les femmes, les enfants et aussi des hommes, blessés, comme il en débarque beaucoup ces derniers temps.
Interpellés et détenus dans des conditions inhumaines
Ces migrants, on les croise à travers les larges rues ensablées d’Assamaka. Les cheveux hirsutes, les habits débraillés et poussiéreux avec souvent, plusieurs bidons vides d’eau minérale, en bandoulières, attachés les uns aux autres. C’est la quête de la denrée la plus chère du moment : l’eau potable. Affamés, ces migrants le sont, mais pratiquement tous sont revenus les mains vides car, selon les récits aux mains des FDS algériennes, ils n’ont pas seulement été martyrisés et violentés, ils ont été dépouillés de tout leur argent et de tout ce qu’ils avaient de précieux.
Même leurs téléphones ont été confisqués, les plaçant dans une situation où ils ne peuvent même pas se payer à manger ou encore contacter leurs proches, pour leur donner de leurs nouvelles.
Ibrahima Baldé est l’un de ces migrants. Il a quitté sa Guinée natale en emportant l’espoir de toute une famille. Une famille qui comptait sur lui pour la sortir de l’extrême pauvreté dans laquelle elle était plongée.
Il a parcouru des milliers de km et a bravé de nombreux dangers pour rallier l’Algérie. Il comptait se constituer un petit pactole qui lui permettrait de poursuivre sans trop de difficultés son voyage vers l’Europe, considérée par lui et beaucoup de ses congénères, comme l’Eldorado.
Malheureusement, il a été « raflé » en même temps que d’autres étrangers, essentiellement subsahariens. A en croire ce dernier, « c’est là que les vrais problèmes ont commencé pour lui ».
Trimbalé de centre de rétention en centre de rétention, jusqu’à ce qu’ils prennent la destination d’Assamaka, où ils sont arrivés dans le Convoi 12 (Ndlr : le convoi du 12 avril), lui et ses congénères ont subi les pires sévices et les pires humiliations.
Pour son malheur, au cours de son interpellation, il a reçu un coup de matraque à la mâchoire, qui jusqu’à ce jour, l’empêche de manger et de s’exprimer convenablement.
Ce récit d’Ibrahima Baldé est semblable à celui de ces milliers de migrants expulsés d’Algérie et qui se sont retrouvés au Niger. Tous dénoncent les conditions inhumaines dans lesquelles ils ont été interpellés et détenus.
Laissés à eux-mêmes
Ces milliers d’expulsés, tentent aujourd’hui, de survivre dans un total dénuement, à Assamaka, appelant l’aide de leurs pays respectifs pour les rapatrier car, explique Keita Mohamed, un autre ressortissant guinéen, « ce que nous avons vécu, c’est tout simplement l’enfer sur terre ». « Nous avons été torturés, spoliés de nos biens, il y a des blessés graves parmi nous et même des morts », explique-t-il, la voix chargée d’émotion.
Ce que les algériens ne comprennent, poursuit ce dernier, amère, « c’est que nous ne sommes pas sortis de chez nous pour aller faire la belle vie. Nous sommes nés pauvres, on a grandi pauvres, mais nous refusons de mourir pauvres. Si nous sortons, c’est juste pour lutter afin que notre lendemain soit le meilleur ».
Parmi ces expulsés d’Algérie, l’on dénombre 27 nationalités, essentiellement des Africains subsahariens. Tous n’ayant pas pu bénéficier de la prise en charges de l’OIM, la très grande majorité est restée en dehors du centre et s’est éparpillée dans le village, occupant la moindre parcelle, le moindre espace pouvant leur servir d’abri.
Les devantures des maisons d’autrui, le long des murs, les espaces publics, les parcelles inoccupées. Dans leur quête d’espace, ils ont même pris d’assaut le Centre de Soins Intégrés (CSI) du village. CSI dans lequel ils ont élu domicile jusque sur le toit, entre les panneaux solaires fournissant l’énergie électrique et la dalle où les plus téméraires trouvent refuge par cette grande chaleur où le thermomètre affiche 46° à l’ombre. Même autour de l’incinérateur du CSI, un groupe suit le mouvement du soleil pour profiter à chaque instant de l’ombre.
En somme, on les voit partout à Assamaka ! Parmi eux de nombreux enfants dont, Issoufou, un jeune garçon de 14 ans qui a quitté, il y a trois mois, sa Guinée natale, sans en informer ses parents.
Avec un groupe de camarades, il est passé par le Mali pour rejoindre l’Algérie. Comble de malchance, il a aussi été raflé. Aujourd’hui, malgré tout le courage dont il fait preuve, quand vous discutez avec lui, il ne peut s’empêcher d’évoquer les cas de décès dont il a été témoin. En l’occurrence celui de cet expulsé qui est mort en tentant de sauter du bus qui les conduisait vers Assamaka. Il tentait d’échapper à ses « persécuteurs », il avait refusé la reconduite au Niger. Il connaissait le risque qu’il encourait, mais il a quand même tenté la fuite.
Le problème de l’eau est certainement le plus grand problème auquel est confrontée la population d’Assamaka et accessoirement les migrants.
En effet, selon les explications de M. Mahamane Soghi, porte-parole des populations d’Assamaka, le village dispose de trois forages. Le premier est hors service, le deuxième, construit par l’UNICEF est affecté au service du CSI et le troisième, construit par les colons, sert à remplir le château d’eau qui dessert les canalisations d’eau du village.
Malheureusement, cette eau est impropre à la consommation. C’est pourquoi, la plupart des gens d’Assamaka ne consomment que de l’eau minérale en provenance de l’Algérie. Les seuls, obligés de boire cette eau, ce sont les migrants qui ne peuvent faire autrement.
Dans la quête de cette eau, bien qu’impropre à la consommation et qui cause de problèmes gastriques de tous genres, les migrants sont obligés de sortir de leurs cachettes et de parcourir le village, de long en large. Car, il faut le préciser, les forages sont souvent en panne. Et il arrive qu’on les croise par petit groupe de deux, trois, voire plus par affinité ou tout simplement par nationalité.
Des droits allégrement violés
En décembre 2014, le Niger signait avec l’Algérie un accord en vue du rapatriement des ressortissants nigériens présents dans ce pays. Prétextant de cet accord bilatéral, l’Algérie a élargi les expulsions aux ressortissants des pays tiers, voire de l’Afrique Subsaharienne. Ces expulsions se sont intensifiées touchant des non africains et même des personnes disposant de documents de voyage à jour.
En agissant ainsi et eu égard aux nombreux récits des expulsés eux-mêmes, il est clair que l’Algérie a allégrement violé et continue de violer les droits de ces personnes en déplacement. Notamment les droits énoncés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) et bien d’autres textes internationaux et régionaux, relatifs aux droits humains. En l’occurrence, l’on peut évoquer la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) et la Convention des Nations Unies de 1990 qui ont pour dénominateur commun, l’interdiction absolue des expulsions collectives, des tortures et autres mauvais traitements.
Une lueur d’espoir
Même si les organisations comme Médecins Sans Frontières (MSF) pour leurs soins de santé, ou encore l’OIM, pour ce qui est de l’accueil et de l’hébergement, font de leur mieux pour alléger les souffrances de ces migrants, ces efforts restent insuffisants. Pour ce qui est de l’OIM, elle n’a qu’une capacité d’accueil de 1500 places et en ce qui concerne MSF, elle a pratiquement consommé son stock de produits pharmaceutiques de six mois.
Aujourd’hui, grâce à une nouvelle venue à Assamaka, en l’occurrence l’ONG italienne, COOPI, la situation est quelque peu en train de se résorber. En effet, à peine installée, elle a entrepris, dans l’urgence, de construire, avec des matériaux locaux et une main d’œuvre locale, deux camps de 40 hangars pouvant abriter chacun 1500 personnes. Soit 3000 migrants qu’elle compte prendre en charge grâce au fonds d’appui d’urgence de l’Union Européenne qui la soutient à hauteur de deux millions d’euros pour les trois mois à venir.
De plus, elle offre un repas quotidien à chacun des migrants qui sont accueillis dans leurs abris, en plus des 2000 litres d’eau qu’elle leur offre deux fois par jour.
Si l’on fait bien le compte, si l’on ajoute ces 3000 personnes nouvellement prises en charge aux 1500 accueillies dans le centre de transit de l’OIM, cela ne fait que 4500 migrants pris en charge. Il en reste encore deux à trois milles qui restent encore dans les rues et qui continuent à souffrir le martyre. Et ce, d’autant plus que l’Algérie n’a pas renoncé à ses expulsions massives vers Assamaka.
Un casse-tête pour les autorités nigériennes
Il faut dire que cette question des migrants expulsés de l’Algérie et refoulés vers le Niger est préoccupante jusqu’au plus haut sommet. A tel point qu’une mission gouvernementale composée du ministre de l’Intérieur et du ministre de la Santé Publique, accompagnés de plusieurs partenaires humanitaires s’est rendue à Assamaka le 19 avril 2023 pour chercher à trouver une solution.
Ainsi, malgré les difficultés que connait le pays, notamment l’insécurité et les attaques terroristes, avec son corollaire de déplacés internes ou de réfugiés, le gouvernement doit se pencher sérieusement sur cette question de migrants refoulés en masse et sans distinction de nationalité vers le Niger.
Ceci urge d’autant plus que cette situation vient réveiller un ressentiment anti migrant enfoui depuis longtemps. Un sentiment anti migrant qui risque de saper tous les efforts consentis, surtout par les populations pour accepter ces voyageurs.
Il faut aussi préciser que du côté aussi de ces migrants la colère gronde et ceux-ci n’ont pas hésité à sortir et à manifester leur colère lors du passage de la mission gouvernementale. Histoire de se faire entendre mais surtout, histoire de mettre un peu plus la pression pour qu’une solution durable soit trouvée, au grand bonheur des migrants mêmes mais aussi des populations d’accueil.
Seydou Assane, Alternative Agadez.
(Article rédigé dans le cadre des activités du collectif Loujna Tounkaranke pour les droits des migrants en Afrique de l’Ouest et au Maghreb. L’auteur revient d’une mission à Assamaka et Arlit).
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