Les projets de l’agence Canal France International au Burkina Faso, au Mali et au Niger ont été discrètement interrompus après le coup d’État qui a renversé le président Mohamed Bazoum. Les programmes de cette filiale de France Médias Monde visaient à renforcer les capacités des rédactions locales et à contribuer au développement démocratique.
Deux mois après le coup d’État qui a renversé le président nigérien Mohamed Bazoum, toujours assigné à résidence par la junte du général Abdourahamane Tchiani, Paris se retire à bas bruit de la région. Selon nos informations, le Quai d’Orsay, qui a procédé au rappel de son ambassadeur à Niamey, Sylvain Itté, il y a deux semaines, a demandé à ses principaux opérateurs, dont l’agence Canal France International (CFI), qui accompagne le développement de médias en Afrique, d’interrompre ses missions au Niger, mais aussi au Mali et au Burkina Faso.
Cet outil d’influence logé au sein du groupe audiovisuel publique France Médias Monde, dont il est une filiale à 100 %, fait ainsi les frais de la série de putschs qui ont porté des militaires hostiles à la présence française dans ces trois pays depuis 2021. Les missions de CFI au Sahel sont actuellement assurées par une petite dizaine de salariés de l’agence et de prestataires locaux. Elles bénéficient à plus d’une cinquantaine de médias locaux, ainsi qu’à plus d’une centaine de journalistes.
Cette discrète consigne de repli émane du ministère des affaires étrangères, piloté par Catherine Colonna. Elle intervient alors que la France a d’ores et déjà suspendu l’aide au développement et l’appui budgétaire de ces trois pays. Contactée par notre publication sœur La Lettre, la porte-parole du Quai d’Orsay n’a pas donné suite.
Des programmes menacés
L’agence CFI organisait encore cet été, pour un coût de plus de 6 millions d’euros, cinq programmes de développement au Sahel – dont trois spécifiquement dédiés aux médias et aux journalistes de la région : Désinfox Sahel, Désinfox Niger, MédiaSahel pour Elles qui ont été suspendus. Les volets sahéliens des projets Dialogues migrations, Afri’Kibaaru ont aussi été interrompus. Majoritairement financées par l’Agence française de développement (AFD), ces opérations poursuivaient plusieurs buts : renforcer les capacités des rédactions locales à travers des programmes de fact-checking, améliorer la place des femmes dans la presse et apporter des fonds pour une couverture approfondie des sujets environnementaux et migratoires et initier « une meilleure implication de la jeunesse sahélienne par les médias ».
Ils étaient aussi un moyen pour cet opérateur de l’État de promouvoir la voix de la France au Sahel. Et avaient pour fondement de contribuer « à la stabilisation et au développement démocratique du Burkina Faso, du Mali et du Niger », selon les termes employés par CFI, il y a quatre ans pour lancer, avec un budget de 8,3 millions d’euros, le projet MediaSahel interrompu depuis décembre 2022. La diffusion de Radio France internationale (RFI) et de France 24 a depuis été également interrompue dans ces trois pays. Même si les ondes courtes et les réseaux sociaux permettent aux populations locales de continuer de s’y informer.
Embarras du Quai d’Orsay
Chez Canal France International, la directive émanant du Quai d’Orsay pour suspendre les projets de développement médias au Sahel embarrasse d’autant plus les équipes qu’elle a été communiquée sans la moindre trace écrite. La réunion du 15 septembre qui a réuni au ministère des affaires étrangères Catherine Colonna, le patron de CFI Thierry Vallat, ainsi que les principaux représentants de France Médias Monde et des opérateurs de l’État français en Afrique (AFD, Expertise France), n’a pas permis aux salariés de l’agence d’obtenir des éclaircissements sur la position de Paris, qui paraît encore en phase de construction.
Le Quai d’Orsay souhaite surtout éviter toute nouvelle polémique, après celle provoquée le 14 septembre par une directive des Directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Le texte demandait la suspension de toute coopération culturelle avec des artistes du Niger, du Mali et du Burkina Faso. L’épisode avait été interprété comme une forme de représailles visant des voix qui subissent déjà des atteintes à la liberté d’expression, avant que le gouvernement ne déplore une confusion et qu’Emmanuel Macron démente ce boycott culturel.
Dans l’attente d’une clarification, les responsables des missions de CFI au Sahel ont été réaffectés vers d’autres missions en Afrique. L’agence continue de s’y renforcer et a annoncé le 5 octobre 2023 le lancement de deux projets visant à contrer la désinformation : Cartooning for Africa Facts, et Désinfox jeunesse en République démocratique du Congo (RDC) et en République centrafricaine, ainsi qu’au Cameroun et en Côte d’Ivoire.
Source : La Lettre A
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