Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, passés ces trois dernières années sous contrôle de militaires putschistes, se défont de leurs partenaires historiques et ont créé l’Alliance des États du Sahel (AES) censée les débarrasser des Djihadistes. Mais au-delà des discours populistes, la réalité est calamiteuse et les populations sont en grande souffrance.
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Une contribution de
Issouf Ag MAHA
Écrivain nigérien
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Certains pays du Sahel, à savoir le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont connu ces dernières années une période de turbulences sociales et politiques de grande envergure. Ces pays ont, à tour de rôle, connu les renversements des régimes en place, renversements largement applaudis par la rue aux yeux de laquelle les putschistes sont accueillis en véritables libérateurs, en héros amoureux du peuple et de la patrie.
En effet, on sait généralement que l’Homme a toujours besoin de neuf, particulièrement dans les pays pauvres où très souvent, l’espoir réside dans le changement. C’est certainement ce qui explique l’engouement avec lequel les coups d’État sont accueillis en Afrique, même lorsqu’un militaire renverse un autre militaire. Le discours est toujours le même. Le régime renversé étant systématiquement responsable de tous les maux, le putschiste vient soulager les souffrances du peuple. La méthode de distribution d’espèces sonnantes et trébuchantes est également de mise pour mobiliser des foules prêtes à lancer des slogans hostiles au système déchu et à féliciter les nouveaux maîtres avant même de les voir à l’œuvre. Ces trois pays du Sahel, qui ont largement défrayé la chronique, n’ont guère échappé à ce scénario devenu classique.
Les trois juntes partagent les mêmes objectifs et méthodes
Pour consolider leur dynamique, les trois juntes se sont très vite organisées pour faire front commun contre toutes les voix qui s’opposent à la remise en cause de la démocratie et des institutions qui en découlent. Le 16 septembre 2023, elles ont alors créé l’Alliance des États du Sahel (AES), avec pour objectif de mutualiser leurs efforts afin de faire face à la montée des groupes islamistes qui écument leurs territoires mais aussi de se débarrasser de ce qu’ils appellent les forces impérialistes. Ils promettent un bel avenir au peuple, auquel ils entendent rendre sa fierté et sa souveraineté. Ils l’assurent également qu’ils le sortiront enfin de la misère qui le rabaisse, de l’ignorance qui le paralyse et de la faim qui le tenaille. Un projet hautement noble en l’occurrence.
Comme par enchantement, les trois juntes ont scandé les mêmes objectifs et utilisé les mêmes méthodes. En prenant le pouvoir, les militaires promettent d’entrée de jeu le retour de la paix, le contrôle total du territoire national, l’assainissement des finances publiques, la lutte contre la corruption, la souveraineté nationale et l’indépendance vis-à-vis des puissances occidentales. En un mot tout ce dont rêvent les populations de ces pays, devant lesquelles les activistes et autres panafricanistes accusent l’Occident et « ses valets issus des processus électoraux » d’être responsables du sous-développement dans lequel végète le continent.
Les opposants jubilent et portent haut le flambeau du changement, car l’ennemi de mon ennemi est bien mon ami ; les citoyens lambda applaudissent car ils se disent qu’après tout « sait-on jamais ? » ; les opportunistes affluent car ils voient là une position à prendre ; les naïfs scandent leur fierté car ils lisent au premier degré ; les partisans du régime déchu font profil bas parce qu’ils culpabilisent ; le peuple dans sa majorité reste indifférent car pour lui c’est une lutte de positionnement qui ne le regarde guère, et enfin les avertis observent, voyant en cela du déjà vécu.
Dans leur posture identique à plusieurs égards, les trois juntes procèdent avec un zèle empreint de populisme à la remise en cause des accords de coopération avec l’Europe et les États Unis, ainsi qu’avec les institutions continentales, régionales et sous-régionales avec lesquelles ces États ont tissé des liens indéniablement bénéfiques pour les populations.
Aussi, à l’inverse de ce qui se passe à l’accoutumée en de telles circonstance, où les putschistes déclarent d’entrée de jeu et de manière systématique qu’ils sont là pour une mission circonscrite dans le temps, afin de remettre le pays sur le droit chemin, les juntes qui dirigent actuellement ces trois États ont subtilement soustrait de leur vocabulaire l’expression « retour à l’ordre constitutionnel ». Comme on le sait également, c’est lorsque le coup d’État arrive dans un contexte de contestation générale, d’abus de pouvoir et d’essoufflement du régime en place, qu’il est vécu comme une délivrance par l’ensemble des citoyens, ce qui est loin d’être le cas pour nombre de ces pays.
Quelques années après l’émergence de cette aventure, que peut-on objectivement observer quant à l’évolution socio-politique dans ces trois pays ?
MALI / L’échec sécuritaire de la junte : 90 % du territoire hors contrôle de l’État
En tête du peloton dans cette aventure multinationale, le Mali va bientôt boucler ses quatre années de régime d’exception. En plus d’être les plus expérimentés en la matière, les officiers de Bamako passent pour la locomotive du groupe, la caution stratégique et morale des juntes. Aussi, contrairement à ses deux comparses, le coup d’État contre IBK a fait suite à plusieurs mois de contestations populaires, des marches et des émeutes de la société civile malienne. La chute du régime était vécue comme un véritable ouf de soulagement. Les colonels qui se sont succédé à Koulouba ont bien été accueillis par les masses et ont véritablement suscité l’espoir du peuple.
Cependant, au-delà des promesses fort alléchantes qu’ils n’ont eu de cesse de marteler à la face du monde pour justifier ce qui, aux yeux de la constitution, est qualifié de haute trahison – en l’occurrence le coup d’État – on peut légitimement se demander aujourd’hui quel résultat retenir de cette expérience à haut risque pour les populations, notamment la sécurité et le bien être de celles-ci ?
Dès décembre 2021, le Mali fait appel au groupe de mercenaires russes Wagner pour assurer d’abord sa propre sécurité sur la colline de Koulouba, la colline surplombant la ville de Bamako, siège de la Présidence de la République du Mali, puis pour appuyer l’armée malienne dans la lutte contre le terrorisme.
En Mai 2022, le Mali a annoncé son retrait du G5 Sahel, dont le but est d’encourager et favoriser une utilisation effective et rationnelle des capacités policières d’Interpol dans ses pays membres, aux fins de lutte contre le terrorisme.
En novembre 2022, le Mali met fin à Barkhane sur son territoire. Barkhane est une opération militaire menée par l’armée française et ses alliés pour lutter contre les groupes armés djihadistes dans toute la région du Sahel.
Puis, le 31 décembre 2023, c’est la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA), mise en place suivant la résolution 2690 du conseil de sécurité de l’ONU, qui a été remerciée par la junte malienne. C’était une opération de maintien de la paix des Nations Unies au Mali, et principale composante de l’intervention militaire dans ce pays.
Enfin, le 25 janvier 2024, le gouvernement malien annonce officiellement et de manière désinvolte, la fin avec effet immédiat des accords de paix d’Alger, signés il y a huit ans entre l’État malien et les groupes rebelles Touaregs et arabes du nord du pays, sous l’égide de l’Algérie.
Naturellement, la junte malienne exhibe avec fierté et assurance ces quatre prouesses sous l’angle de souveraineté et d’indépendance nationale, ce qui fait d’elle un bel archétype pour les juntes voisines notamment celles du Burkina et du Niger, en admiration devant l’équipe Assimi Goita.
Malheureusement, le résultat de la course, bien connu de tous, est loin d’être reluisant, bien au contraire. Sur la question sécuritaire, cheval de bataille de la junte, 90 % du territoire n’est plus contrôlé par l’État. Les populations sont quotidiennement massacrées aussi bien par les djihadistes que par les forces armées maliennes appuyées par leurs supplétifs de Wagner.
Un rapport publié ce 28 mars 2024 par Human Right Watch, une organisation internationale de défense des droits humains, dénonce des atrocités commises par l’armée malienne et ses supplétifs du groupe Wagner sur des populations civiles du Mali. La prise de Kidal reste quant à elle un artifice et l’armée malienne s’efforce à grands frais d’y rester pour sauver les apparences mais pour combien de temps encore, car le poids financier des Wagner qui garantissent la présence de l’État dans la zone pèse trop lourd sur les finances publiques du pays.
MALI / Population en grande souffrance et isolement international
Sur le plan social, les organisations de la société civile sont muselées et ceux qui osent dénoncer la réalité du terrain sont jetés en prison sans aucune autre forme de procès. Les populations rurales sont abandonnées à leur triste sort et ne font plus confiance à l’État. Elles connaissent un exode jamais égalé et se réfugient dans les centres urbains ou dans d’autres pays. Les débats politiques sont surveillés et les voix discordantes sont menacées. Les communautés se regardent en chien de faïence.
Sur le plan économique, la prise en charge des missions régaliennes de l’État, réduites au strict minimum, sont devenues une prouesse. Le chômage est à son paroxysme. Aucun investissement n’est envisageable. Les prix des denrées alimentaires sont multipliés par quatre à certains endroits. L’électricité est devenue un luxe, même dans la capitale. Les maigres ressources de l’État sont siphonnées par la prise en charge des mercenaires Russes devenue dépense prioritaire et dont la prestation coûte des sommes astronomiques. Une fois les caisses vidées, l’État n’a eu d’autres choix que de céder (brader) au groupe Wagner les mines d’or au détriment des populations qui doivent désormais s’en éloigner.
Dans le domaine de la diplomatie, le pays s’est éloigné de la communauté internationale de manière générale, qu’elle soit occidentale ou africaine dès lors que celle-ci parle le langage de la démocratie et de l’Etat de droit. Seul partenaire crédible à ses yeux, la Russie qui n’a jamais soutenu des actions de développement.
BURKINA FASO / Le « petit frère copieur » du Mali
Le coup d’Etat perpétré au Burkina Faso est justifié selon ses auteurs, par l’incapacité du gouvernement déchu à contenir la montée en puissance de l’insurrection djihadiste.
Copiant à l’identique la trajectoire malienne, le Burkina Faso a vite fait de dénoncer ses accords de partenariats avec l’Occident et de se rapprocher de la Russie. La guerre contre les terroristes se limitent à des montages vidéo publiés par les médias d’État et sur les réseaux sociaux et dans lesquels les djihadistes sont quotidiennement massacrés par milliers, alors même que sur le terrain, ces derniers continuent imperturbablement leur progression et resserrent chaque jour l’étau sur le pays.
NIGER / Un « bon élève » très zélé
Qualifiée de benjamine de la mouvance, la junte nigérienne se conforme à la démarche de ses pairs burkinabés et maliens qui deviennent sa référence attitrée. Cependant, contrairement au Mali et au Burkina, on peut considérer qu’au Niger, rien ne laissait présager une telle situation. La pays contrôle l’intégralité de son territoire et arrivait à contenir l’offensive terroriste. Sur le plan économique les voyants étaient au vert et aucune prémisse de contestation n’était observable.
Pour faire bon élève, la junte nigérienne y va avec une ardeur peu ordinaire. Elle renvoie de manière spectaculaire l’ambassadeur de France ainsi que les troupes françaises stationnées à Niamey, Ouallam et Aguelal. Pour prouver sa détermination sans faille, le CNSP du Niger s’en est pris aussi au pays de l’oncle Sam avec une brutalité des plus remarquables, auquel il signifie sa décision de rompre les accords qui les lient en matière de sécurité et lui intime sans gants de retirer ses troupes du Niger.
Un coup de maître, une première dans la diplomatie contemporaine, une victoire fêtée à grande pompe et dont le peuple ne peut bien que s’enorgueillir. Après le retrait de la France, de l’Union européenne, des représentants des Nations Unies, des 2tats-Unis et de la CEDEAO, le Niger s’approche peu à peu de l’objectif que la junte s’est assigné : vivre en autarcie, seul sous le protectorat militaire des Russes.
Pour pallier le manque à gagner consécutif à l’arrêt des aides budgétaires traditionnelles, les autorités en place se rabattent sur la population à laquelle on demande une contribution patriotique à l’effort « de guerre » et sur les quelques opérateurs économiques encore solvables, auxquels elles font payer sous menace des sommes astronomiques sous couvert de redressements fiscaux. Une fois mises en faillite, ce sont autant d’activités économiques qui vont s’estomper et mettre dans la rue des milliers de chômeurs.
Une régression sécuritaire, économique, sociale et politique
Sur le plan social, les trois États de l’AES connaissent à des degrés différents, une situation d’insécurité qui prend chaque jour plus d’ampleur. Les hordes des Djihadistes se promènent allégrement dans les zones rurales et commettent chaque jours des actes criminels sur les civils – sur lesquels elles prélèvent des impôts – et sur les forces armées attaquées par surprise ou par embuscades. Les trois États ont perdu – chacun, proportionnellement à la durée de sa période d’exception –, le contrôle d’une grande partie de leurs territoires. Les populations sont abandonnées à leur triste sort. Quasiment déboussolées, elles perdent toute confiance en l’État.
Sur le plan économique, les trois États tournent au ralenti. Les finances publiques se contentent de payer les salaires des agents de l’État réduits au strict minimum. Aucun programme d’investissement ni projet de développement financé de l’extérieur ne sont en perspective. Les opérateurs économiques sont quotidiennement rançonnés et sont dans l’expectative. La population subit les affres de l’envol des prix des produits de première nécessité.
Sur le plan politique, si la question de quitter la CEDEAO est relativement simple car pouvant se faire par simples communiqués simultanés et ce, dès lors qu’on fait fi de l’énorme pénalisation que cela engendre pour les populations, et si la suppression de visa pour les étudiants et les artistes qui souhaitent se rendre en France est relativement facile à gérer car il suffit d’un communiqué radiotélévisé, il n’en n’est pas de même pour la question du divorce avec l’UEMOA.
En effet, même si le Général Tchani et le capitaine Traoré sont dans la logique de création d’une monnaie de l’AES, la mise en œuvre de ce projet reste encore très hypothétique. Et pour cause, les économistes sont conscients qu’il est hasardeux, voire périlleux de créer une monnaie dans un espace en proie à une instabilité institutionnelle chronique doublée d’une insécurité chaque jour grandissante. Aussi leur maître penseur de Bamako, fort de l’expérience du franc malien, sait quant à lui que c’est un projet chimérique destiné à amuser la galerie et à rassurer les idéalistes et autres africanistes de service.
Sur le plan institutionnel, les trois juntes se contentent des communiqués relatifs à l’indépendance, à la souveraineté et la dénonciation des accords sans jamais effleurer la question du retour à l’ordre constitutionnel devenu de plus en plus tabou. Le Mali qui s’est hasardé à annoncer une date butoir pour l’organisation des élections se trouve depuis le 26 Mars 2024 dans un vide juridique au regard de sa propre réglementation et qui devient désormais l’angle d’attaque de la société civile qui dénonce cette prise en otage du peuple par son armée.
On peut par conséquent retenir que depuis la création de l’alliance de l’AES, les trois pays à savoir le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont considérablement régressé sur le plan sécuritaire, social, économique et politique, toutes choses sur lesquelles repose leur propagande populiste. On se limite pour l’instant aux déclarations d’intentions et pendant ce temps la situation continue de se dégrader inexorablement.
En tout état de cause, nous ne devons perdre de vue que les trois peuples ont depuis des années pris goût au jeu démocratique et aux libertés individuelles.
Nous sommes par conséquent loin des années 1970 où la culture politique des populations permettait au pouvoir de s’éterniser par la force. Le temps nous en dira plus car le temps demeure le meilleur des juges. Nous laissons du temps au temps !
Issouf Ag MAHA
Le 2 Avril 2024
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