Cet article a été publié dans The Intercept d’abord sur le lien https://theintercept.com/2018/02/18/niger-air-base-201-africom-drones/
Traduit en français par Egide Mugande
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Une grande base de drones des Etats-Unis pourrait déstabiliser le Niger, et pourrait même être illégale selon la constitution du pays.
Vers la fin de la matinée du 4 octobre 2017, un convoi de forces spéciales militaires Nigérienne et Américaine composé de huit véhicules a quitté le village de Tongo Tongo. Slalomant entre les constructions en banco aux toits de chaume, ils ont subi une attaque d’une dizaine voire même une centaine d’éléments armés. Surpassés en nombre et en force, les Nigériens et Américains se sont dispersés pour se couvrir. Cette rapide mais violente attaque aura fait neuf morts dont cinq Nigériens et quatre Américains.
Ce tragique évènement fera la une des médias aux Etats-Unis et conduira à un affront entre la famille de l’une des victimes américaines et le Président Donald Trump, après une maladresse prononcée par celui-ci lors dans son adresse de condoléances. L’événement a aussi animé les discussions au Niger, non pas parce que des militaires américains étaient morts, mais surtout par interrogation quant à la présence des militaires Américains sur le sol nigérien.
« J’ai été surpris quand il y’a eu l’attaque de Tongo Tongo… »
« J’ai été surpris quand il y’a eu l’attaque de Tongo Tongo, et qu’on m’a dit que les Américains étaient morts, » m’a dit Soumana Sanda, le champion de taekwondo et dirigeant d’un parti politique de l’opposition au parlement nigérien. « C’est là que moi j’ai su, en tant que nigérien, en tant que député, représentant du peuple, qu’effectivement il existe bel et bien une base avec même des opérations du terrain. »
Même constat dans la rue, où Moussa, un vendeur ambulant s’est lui aussi dit « surpris », rajoutant que : « Pour nous c’est vraiment une colonisation encore. » Craignant des représailles à cause de son point de vue, il a refusé de donner son nom de famille.
En fait, les forces spéciales Américaines sont au Niger depuis au moins 2013 et sont stationnées sur le territoire Nigérien dans des bases opérationnelles accompagnées par les soldats d’élite Nigériens. Ce qui s’est produit à Tongo Tongo n’est qu’un avant-goût des potentielles dissensions et de l’instabilité à venir, parce que la « pièce de résistance » du déploiement militaire américain au Niger est une base de drones au coût estimé à 110 millions $ US, en construction à plus 900 km au nord-est de Niamey, dans la ville d’Agadez, une ville historiquement connue pour avoir été un carrefour commercial dans le désert du Sahara, de par sa position joignant le Mali, l’Algérie, la Libye et le Tchad.
En janvier, j’ai grimpé à bord d’un avion à destination de cette base, l’un des plus importants investissements américains en Afrique, dans une guerre obscure et coûteuse sur ce continent.
Le vol pour Agadez s’est effectué dans un Fokker 50 et loué par Niger Airlines, à une compagnie aérienne Palestinienne. Après deux escales à Zinder et Maradi, nous sommes arrivés à Agadez, ses constructions rectangulaires et triangulaires, ainsi que ses ruelles poussiéreuses faisant penser à une mosaïque, sans oublier le beige rougeâtre du désert visible jusqu’aux limites de la vue.
Au sud-est de l’aéroport civil se trouve la base aérienne nigérienne 201, qui est comme disent les habitants la « base américaine ». Cette base dont la fin des travaux est attendue pour la fin 2018, est techniquement une propriété Nigérienne, mais est dans les faits, financée, construite et exploitée par les américains.
Sa construction a lieu sur une terre auparavant utilisée par des éleveurs Touaregs. Pour l’instant, n’a été complété qu’un hangar où les drones seront abrités, la piste d’atterrissage est toujours en construction et sont aussi visibles des dizaines de structures où vivent et travaillent les militaires.
Le tarmac sera assez large pour accueillir l’avion de transport de type Boeing C-17, et des drones armés de types MQ-9 comme l’a révélé Nick Turse en 2016[1].
Un militaire nigérien connaissant la base 201 et qui a demandé l’anonymat, m’a dit que cette base sera utilisée pour surveiller les miliciens d’AQMI, Al Mourabitoun, le MUJAO, et la branche de l’Etat Islamique en Afrique, à savoir Boko Haram et la katiba d’Abou Walid. Les Etats-Unis exploitent déjà leurs drones à travers l’aéroport de Niamey ; les opérations seront déplacées à Agadez dès la fin des travaux.
Les forces spéciales Américaines dites ‘Bérets Verts’ opèrent séparément de la base de drones sous exploitation de l’Air Force. Les Bérets Verts eux sont sur le terrain, entraînant les forces spéciales Nigériennes, et opérant des missions de traques depuis leurs bases arrières de Ouallam[2] près de la frontière malienne, d’Aguelal non loin de la frontière algérienne, de Dirkou le long des routes de transport entre le Niger et la Libye, et enfin la base arrière de Diffa le long de la frontière nigéro-tchadienne. Un influent journaliste local les a vu à Dirkou, et j’ai eu à discuter avec quelqu’un qui a travaillé à la base d’Aguelal.
« Je ne peux donner des détails sur les localisations de nos membres au Niger, à des fins de protection…. »
Demandée à confirmer la présence Américaine dans ces endroits du Niger, la porte-parole du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) Samantha Reho s’est exprimée en disant : « Je ne peux donner des détails sur les localisations de nos membres au Niger, à des fins de protection et de limitation pour la sécurité opérationnelle. Cependant, je peux confirmer qu’il y’a approximativement 800 membres du personnel du Département de la Défense (militaires, civils, et contractuels) qui travaillent actuellement au Niger, faisant de ce pays la seconde concentration de personnels du DoD à travers le contient, le premier pays étant le Djibouti avec la force opérationnelle conjointe de la Corne de l’Afrique. »
« Inimaginable au temps de Mouammar Kadhafi… »
L’armée Américaine n’est qu’une parmi d’autres armées occidentales, qui ont récemment établi et renforcé leurs liens militaires avec le Niger. La France y a des soldats depuis 2013, suite au lancement de l’Opération Serval dans le Mali voisin. En 2015, la France a réouvert le fort colonial de Madama, riverain avec la frontière Libyenne. Inimaginable au temps de Mouammar Kadhafi ; le « guide » libyen avait établi une sphère d’influence dans la région qui aurait été incompatible avec une présence militaire française. L’Allemagne a envoyé ses troupes au Niger[3] dans le but de soutenir la MINUSMA[4], et la chancelière Angela Merkel a même visité le Niger en 2017. L’Italie a aussi récemment annoncé[5] qu’elle enverrait 470 soldats vers une base française au Niger, pour combattre les trafiquants de migrants.
J’ai essayé de saisir ce que les nigériens pensent des drones qui bientôt rôderont au-dessus d’eux. Après tout, la nouvelle base de drones reste le plus grand investissement en base militaire dans la région, et le début d’une implication occidentale sans précédent. Après quelques jours passés à Agadez discutant avec les locaux, j’en ai conclu que le sujet était tabou, et que très peu de gens voulait exprimer leurs préoccupations de peur d’être taxés de critiquer l’administration nigérienne actuelle.
J’ai visité une école à Agadez, et le directeur, extrêmement gêné par ma présence, m’a isolé dans une salle et a refusé de donner son nom. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas avoir une opinion sur les Américains, puisqu’il ne savait pas le pourquoi de leur présence. Durant mes deux semaines au Niger, j’ai entendu des théories selon lesquelles les américains fomenteraient eux-mêmes les terroristes, creuseraient de l’or, ou qu’ils en seraient après l’uranium, le pétrole, voir même les ressources aquifères sous le Sahara. Excepté le gouvernement nigérien, personne d’autre ne semble croire que la présence américaine soit liée à la sécurité.
Joe Penney ( The Intercept) – Ibrahim Manzo DIALLO (Aïr Info) -Omar Hama ( Sahelien.com)
(A suivre)
[1] https://theintercept.com/2016/09/29/u-s-military-is-building-a-100-million-drone-base-in-africa/
[2] https://theintercept.com/2017/10/26/its-not-just-niger-u-s-military-activity-is-a-recruiting-tool-for-terror-groups-across-west-africa/
[3] https://apnews.com/bf95c407e5e04167ac2dac2303f934db/niger-says-germany-can-build-military-logistics-base-there
[4] Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali.
[5] https://www.reuters.com/article/us-italy-defence-niger/italy-aims-to-send-up-to-470-troops-to-niger-to-curb-people-smuggling-idUSKBN1EM1WM
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