Aklou Sidi Sidi : « une petite ONG locale fait mieux que les réalisations des sociétés minières …»

La Région d’Agadez abrite depuis plus d’un demi-siècle des mines d’uranium et du charbon, quel bilan sur le plan environnemental, économique et social ?

Aklou SIDI SIDI: La région d’Agadez comme vous l’avez si bien dit est une zone d’exploitation de l’uranium depuis la fin des années 70 à cette date et une centrale électrique thermique à base de charbon à Tchirozerine à la fin des années 80 et en fin la SOMINA depuis 2006. Pour ce qui est du bilan de ces installations, sur le plan environnemental, vous savez tout autant que moi que l’uranium est une matière radioactive de par sa nature et que les conditions de son exploitation exigent des mesures assez pointues pour minimiser les conséquences. Pour le cas d’Arlit ces conditions ne sont jamais respectées et vous n’êtes pas sans savoir que les conséquences sur l’environnement sont désastreuses sur des centaines de kilomètres de zones industrielles. Aucune disposition n’a été prise à cette date allant dans le sens du traitement des déchets encore moins la protection et la restauration de l’environnement. Pour les trois sociétés, il faut admettre que les mesures sont les mêmes c’est-à-dire que les exploitations dans la pratique ne se font pas conformément au code minier en relation aux exigences de l’environnement.
Sur le plan économique, je suis mitigé car l’uranium a été durant plusieurs décennies la principale source de revenus du Niger ayant permis à l’Etat la réalisation des plusieurs infrastructures mais au niveau régional Agadez n’a pas suffisamment profité des retombées économiques en terme de marchés, d’emploi, et de redevances minières.
Au plan social le bilan au niveau de la région d’Agadez est catastrophique parce que les exploitations minières ont mis à nu le sentiment d’injustice dont souffrent les populations locales en terme de mauvaise distribution du revenu national, en terme de sous-représentation des populations locales dans les effectifs employés et en terme des réalisations sociétales susceptibles de compenser les désastres écologiques.
En effet, le bilan social et économique des sociétés minières pour la région d’Agadez est loin d’être positif. Les besoins des populations restent entiers. Quand vous comparez la part des réalisations des sociétés minières par rapport à la satisfaction des besoins des populations, une petite ONG locale fait mieux.

La Région est confrontée à des difficultés d’approvisionnement en électricité malgré la présence de la Sonichar, de la Nigelec et des sociétés minières qu’en dites-vous ?

Avant de revenir à votre question j’aimerais rappeler que le Niger est l’un des rares pays au monde qui dispose de toutes les sources d’énergie. Il dispose du charbon, de l’uranium, du pétrole, du soleil, du vent et des réserves en eau énormes. La vraie question et la bonne aurait été qu’est ce qui nous empêche d’avoir notre autonomie énergétique? Pour ce qui est de la Sonichar, c’est une centrale obsolète qui n’a pas été construite avec une vision futuriste c’est pour cette raison qu’elle n’arrive pas à couvrir les besoins des sociétés minières qui constituent ses véritables clients et la Nigelec. La Nigelec qui distribue l’électricité malgré son monopole n’a pas non plus une planification cohérente car malgré les ressources qu’elle mobilise elle est souvent incapable de renouveler ses installations, à plus forte raison de satisfaire les besoins de ces clients. Il arrive que pour un petit transformateur, le calvaire des populations qui sont sa clientèle avec l’Etat, perdure.
Ces problèmes d’électricité sont dus à deux éléments prévisibles : le premier c’est l’augmentation des besoins du fait de l’urbanisation et le deuxième est le vieillissement du matériel et des installations. Il serait souhaitable qu’à l’avenir que nos projets soient mieux étudiés avec des projections qui permettraient un plan d’amortissement.
A Arlit par exemple la Nigelec n’a même pas de réserve froide en cas de coupure. C’est pourquoi pour les populations, les sociétés minières qui disposent des ressources doivent mettre à la disposition de la Nigelec pour les cités induites à leur exploitation, des groupes électrogènes qui pourraient servir de réserve froide en cas de coupure.
De toutes les façons, le Conseil Régional d’Agadez a porté un projet de création de centrale photovoltaïque hybride de 19Mw qui va répondre je pense bien au problème d’énergie dans notre région.
En effet, ce projet qui est une priorité du Plan de Développemnt Régional (PDR) 2016-2020, dont nous avons négocié avec l’Etat, le financement auprès de l’union Européenne (le Ministère de l’Energie) a été confié à la NIGELEC. J’ose espérer qu’il répondra efficacement à nos attentes.

L’Etat du Niger doit rétrocéder 15% de la redevance minière et pétrolière aux collectivités territoriales de la Région d’Agadez, quelle est la situation de cette rétrocession ?

Effectivement, la redevance minière et pétrolière devrait être rétrocédée par l’Etat aux collectivités territoriales chaque année à hauteur de 15%. Cette rétrocession depuis 2012, n’a pas été effectuée au profit des collectivités territoriales qui connaissent des arriérées grevant leurs capacités à réaliser des investissements. Je sais que la région d’Agadez tout calcul fait cumule en cette date pas moins de quinze milliards de francs CFA.
En effet les recettes des collectivités territoriales notamment le Conseil régional sont constituées essentiellement des impôts et taxes rétrocédées par l’Etat, des ressources propres, des concours financiers. Ces recettes sont constituées de la redevance minière et pétrolière qui ne tombe pas, de la taxe professionnelle des sociétés minières qui souffre d’un litige, de la subvention de l’Etat à travers l’ANFICT constituée du fonds d’appui à la décentralisation et du fonds de péréquation.
Pour ce qui est de la taxe professionnelle, les sociétés minières n’ont toujours pas versé celle de 2017, d’ailleurs la SONICHAR en est exonérée semble-t-il. Pour ce qui concerne la subvention de l’Etat à travers les fonds de péréquation et d’appui à la décentralisation, ce sont des recettes tellement dérisoires qui dépassent rarement un milliard pour les 276 collectivités territoriales du Niger par an. Quand vous rapportez cette somme à l’ensemble des collectivités territoriales du Niger, vous comprendrez les efforts de l’Etat pour la décentralisation. D’ailleurs ces ressources quand elles ne sont pas gelées une année, ne tombent qu’en fin d’exercice. Pour améliorer les capacités d’investissement, les collectivités du Niger (communes et régions) demandent à l’Etat de leur prévoir au moins 1% du budget national par an. Cette demande n’est toujours pas un acquis.

Tout récemment, en janvier 2018, les sociétés minières ont procédé à des licenciements économiques. ORANO a suspendu ou fermé l’exploitation de la mine d’Imouraren SA, quelles sont les conséquences de cette situation pour la Région ?

Les licenciements du personnel, la fermeture des sociétés telle qu’IMOURAREN SA sur laquelle reposait l’espoir de la région d’Agadez en terme d’emploi ne sont pas des évènements positifs pour une région où la priorité est la réduction du chômage des jeunes. La région d’Agadez ne peut que souffrir des telles initiatives qui affectent la vulnérabilité de la stabilité car l’oisiveté et le sous-emploi des jeunes sont à craindre.

La SOMINA exploite un gisement d’uranium dans le département d’Ingal à Azelik. Les populations se plaignent de dégradations de l’environnement liées à cette exploitation, quelles dispositions sont prises pour répondre aux préoccupations des populations ?

La Somina est une catastrophe écologique pour la région d’Agadez pour le département d’Ingal, pour l’Irhazer et pour le village d’Azelik qui en abrite les exploitations. Voilà une société qui exploite un minerai le plus radioactif sans aucune mesure de sécurité pour les hommes, sans aucune disposition de protection de l’environnement où la responsabilité sociale et sociétale n’est pas respectée. Pour le moment, cette société qui pollue l’environnement est en arrêt d’activités pour des raisons sans doute économiques mettant les travailleurs au chômage. Ce qui ajoute un plus de négatif à la situation de la région. Si jamais cela venait à se produire, nous suggérons que les autorités locales, régionales et nationales négocient avec les actionnaires sur des bases saines, respectueuses du code minier et du développement durable les avantages que la région d’Agadez, la commune d’Ingal vont tirer de ces exploitations qui pour l’instant ont un impact négatif pour la région comme Tchernobyl.

Depuis sa mise en place le conseil régional n’avait pas de pouvoir et des compétences . Cependant, il y a eu des décrets de transfert des compétences et des ressources, qu’en dites-vous ?

En effet, la décentralisation est un processus qui peine à se mettre en place et c’est le cas dans tous les pays. Pour ce qui nous concerne, en 2004, nous avons connu la communalisation intégrale et en 2010 avec l’avènement des conseils régionaux, c’est une étape nouvelle qui se met en place. Le conseil régional d’Agadez date de juin 2011 ce qui lui fait sept ans d’exercice. En sept ans, beaucoup de choses ont été réalisées dans le cadre de la clause des compétences générales et l’Etat a réalisé beaucoup de choses en sept ans même si nous demandons toujours plus. Pour ce qui est des compétences transférées, il faut retenir les domaines de la santé, de l’éducation, de l’hydraulique et de l’environnement. Ces secteurs quoiqu’on en dise, sont les plus compliqués à gérer et c’est par eux qu’on commence le transfert de l’Etat aux collectivités territoriales. Il faut bien commencer par quelque chose un jour. Il faut retenir cependant, que le transfert de compétences se fait de façon progressive et concomitamment avec les ressources. Cependant, pour le moment nous avons reçu les compétences transférées mais nous ne disposons d’aucune information relative aux ressources correspondantes ce qui fait que jusqu’à aujourd’hui ce transfert n’est pas effectif.

On sait que la région est le point de départ des migrants vers l’Europe, quels problèmes entourent ce phénomène ?

Pour ce qui concerne la migration il est inutile de rappeler que pour la région d’Agadez, l’économie migratoire était une activité économique rentable pour les acteurs, pour les collectivités, pour l’économie régionale en général. C’était une activité qui se réalisait de façon formelle en respect du protocole de la CEDEAO, en conformité avec la charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Elle était donc une activité alternative à l’arrêt du tourisme, un moyen d’occuper les ex-combattants propriétaires des véhicules de transport qui assurent la liaison Agadez-Djannet et Agadez-Dirkou. Et voilà que depuis le sommet de la valette, le Niger a pris des engagements avec l’Union Européenne à travers la mise en œuvre d’un plan d’action comprenant 10 engagements et 5 programmes majeurs. A l’occasion de ce plan d’action, il est prévu qu’un bilan allait être présenté en janvier 2017 bilan à l’issu duquel chaque Etat allait présenter ce qu’il a eu à poser comme acte allant dans le sens de limiter ou d’arrêter la migration en direction de l’Europe. C’est donc pour cette raison que la loi 2015-036 du 26 mai 2015 portant sur la migration illicite et le trafic des personnes a été prise et adopté sans aucune disposition de sensibilisation et de popularisation. Cette loi n’a été connue seulement au moment de son application où elle a fait beaucoup des victimes au niveau de la région. Le fait qu’elle soit tombée spontanément a soulevé des réactions et un malaise que les populations ne parviennent pas à comprendre. Cependant, il a eu de la part de l’Etat et des élus une offensive pour expliquer des fois avec beaucoup des réserves le pourquoi de cette loi qui sert plus les intérêts de l’Europe que d’Agadez et du Niger. Le Conseil Régional a dans le cadre un plan de développement Régional posé le diagnostic et a opté pour un plan de reconversion de 15 000 acteurs de l’économie migratoire seule solution durable à la lutte contre la migration devenue irrégulière. Cette reconversion prévoyait 4 millions pour un projet individuel et 20 millions pour un projet collectif de 5 personnes ;
Le 19 septembre 2015, est arrivée la haute représentante de l’Union Européenne à Agadez et nous lui avons suggéré à sa demande une proposition quant à la gestion du fonds fiduciaire d’urgence dédié à la migration. Cette proposition consistait à mettre en place une unité de gestion souple qui va appuyer les collectivités territoriales dans la gestion des dossiers des projets pour augmenter les impacts de financements sur les bénéficiaires directs. Cette option acceptée au début a été détournée au profit des projets et programmes classiques qui n’ont jamais été efficaces depuis les indépendances à ces jours. Le schéma est toujours le même : gestion par une agence d’exécution d’un pays de l’union Européenne, tutelle d’un ministère technique à Niamey avec des unités de mise en œuvre centrale régionale etc. si bien qu’une grande part du financement se perd dans des montages institutionnels inappropriés. Pour ce qui est du plan de reconversion que nous avons proposé, il est pendant. Cependant, nous avons été obligé malgré nous compte tenu de l’urgence d’accepter un plan de reconversion par défaut de la Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP) qui a bénéficié d’un petit financement de l’Union Européenne. Ce plan de reconversion par défaut ne prend en compte sur la base de un million cinq cent mille francs CFA par acteurs validés par La COCORAT.

Un dernier mot ?

Le problème de la migration est encore entier parce qu’au-delà du nombre réduit des acteurs et des montants prévus, l’Union Européenne ne finance pas la reconversion des propriétaires des véhicules et des ghettos parce que quelque part nos autorités les ont qualifiés des criminels. On continue de gérer cette situation avec les ressources dont nous disposons dans l’espoir que les missions interminables des partenaires sur Agadez en lien avec la question génèrent des meilleurs résultats non des approximations.

Réalisée par R. Ilatoufeck

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