Serge Michailof : « Le Sahel est en train de décrocher »

En octobre 2015, Serge Michailof publiait Africanistan, une somme qui présentait les défis auxquels l’Afrique faisait face et leurs conséquences dans un futur proche : démographie galopante, chômage massif de jeunes à demi-scolarisés. L’Afrique, expliquait-il, sera en 2050 plus peuplée que la Chine, mais les jeunes en âge de travailler y seront trois fois plus nombreux. L’une des premières explications de l’effondrement, à l’époque, de l’Afghanistan qu’il connaît bien.

Ex-directeur à la Banque mondiale et ancien patron de l’Agence française de développement (AFD), Serge Michailof maîtrise les arcanes des institutions internationales censées voler au secours des États fragiles et ne se prive pas pour dénoncer leurs limites. À l’occasion du Forum sur la paix et la sécurité de Dakar, à la mi-novembre, il a repris son bâton de pèlerin pour sensibiliser aux problèmes du Sahel, armé d’une plaquette reprenant les principales idées de son livre, réalisée avec Olivier Lafourcade, consultant, également ancien directeur à la Banque mondiale. Ces problématiques sont celles qui devraient occuper les débats au sommet UA-UE à Abidjan.

 

Le Point Afrique : Pourquoi cette plaquette, après votre livre Africanistan ?

Serge Michailof : Parce que les politiques ne lisent pas les bouquins. Donc on a présenté ça aux candidats à la présidentielle en mars-avril. Les réactions ont été très bonnes, notamment avec les équipes de Macron. On a passé deux fois deux heures avec elles et on a été agréablement surpris, il y a du changement, des gens de grande compétence.

Les éléments que vous exposez sur la crise dans le Sahel étaient-ils une découverte pour eux ?

Oui. Ils voyaient le côté terrorisme et militaire, pas l’ampleur du drame social et économique. On a actualisé le document après la présidentielle et émis des recommandations. L’un des problèmes principaux est que chacun travaille en silo, le Budget et le Trésor. Et la vision est purement militaire. Le développement, la Banque mondiale et l’Union européenne s’en occupent. Or, ce n’est pas si simple. Tous les grands bailleurs ont échoué en Afghanistan parce qu’ils ne savent pas travailler dans ce type de situations. Ils travaillent dans des pays pauvres, mais bien gérés parce que, sinon, l’argent disparaît. Pour maximiser l’impact de l’aide internationale, il faut travailler dans des pays bien gérés, qui ont de moins en moins besoin de l’aide internationale. Alors que toute une frange de pays est en train de décrocher complètement de la mondialisation et s’enfonce dans des guerres civiles. C’est là que l’aide doit intervenir et elle n’a pas d’expérience dans ce domaine. Or, si le Sahel implose, l’impact va être considérable, sur l’Afrique de l’Ouest globalement.

La France et l’Union européenne pourraient-elles décider, cyniquement, de s’en laver les mains ?

Dans ce cas, il faudra mettre des barbelés autour de l’Europe. On a vu les miettes de l’immigration venue de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan, ceux qui parlent anglais et ne veulent pas aller en France où il n’y a pas de boulot. On n’a rien vu. Quand il va devenir impossible de vivre dans les campagnes au Sahel, ceux qui vont venir sont liés à de la diaspora installée autour de Paris. Or, ce sont des gens difficilement assimilables. Je suis moi-même fils d’immigrés, je le sais : pour s’intégrer, il faut le vouloir. Et il faut une proximité culturelle. Ce n’est pas le cas de jeunes illettrés du Sahel dont beaucoup, dans les campagnes, sont salafistes. Plus une diaspora est composée d’un milieu culturel différent du pays hôte, moins elle interagit avec lui, plus elle grossit, moins elle s’intègre. Quand on ne peut pas intégrer les immigrés, on crée des fissures terribles dans la société. Cela entraîne des raidissements identitaires et une dérive vers les extrémismes politiques.

Selon vous, dans 5 ans, il sera trop tard.

Oui, pour le Mali, si on ne redresse pas la barre. Là, on peut encore reconstruire les institutions, ensuite, on ne pourra plus. Ça déborde sur le Niger, sur Tillabéri, Ayorou, Tahoua. Et le Niger n’est pas très solide.

Le Point Afrique

A propos de DIM 894 Articles
Aïr Info, Toute l’actualité du nord Niger ! Soyez au cœur des grands débats qui agitent la bande du SAHEL

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*